En 1955, l’assassinat du patron de Lesieur et de Maroc-Presse, fervent indépendantiste, révèle au grand jour la guerre secrète des services français au Maroc. Retour sur un crime politique que la justice de l’Hexagone a évité d’instruire.
Moi je la trouve légitime. Si c’était à refaire, je le referais ». C’est ainsi que s’exprime Antoine Méléro, ex-barbouze français, au sujet de la lutte menée au Maroc par l’organisation contre-terroriste «La Main Rouge». Dans un reportage diffusé le 18 décembre 2009 sur Al Jazeera, il dit ne rien regretter des crimes auxquels il a pris part dans les années 1950. Parmi ces assassinats, celui de Jacques Lemaigre-Dubreuil, industriel et patron de presse, défenseur de la cause marocaine, tué à Casablanca le 11 juin 1955. Qui a assassiné Lemaigre-Dubreuil ? Des truands de bas étage ? Des éléments de la police ? Les services secrets français ? Les services spéciaux américains ? Entre responsabilité et culpabilité, tous ont pris part, dans les faits, à cette conjuration contre ce héraut de l’indépendance du Maroc. Pourtant, malgré les preuves et les aveux, ce crime politique, attribué à l’escadron de la mort la Main Rouge, reste impuni à ce jour.
Avocat de l’indépendance
Président des huileries Lesieur, propriétaire du journal progressiste Maroc-Presse et représentant de la tendance libérale du patronat, Jacques Lemaigre-Dubreuil est, en 1955, l’un des plus grands avocats de l’indépendance du Maroc. Pour cela, il s’oppose aux ultras, aux conservateurs et, en règle générale, à tous ceux qui, par intérêt, tentent de conserver le pays sous tutelle française. Il le paiera de sa vie. A ses obsèques, à l’église du Sacré-Cœur de Casablanca, le 14 juin 1955, des milliers de Marocains viennent lui rendre un dernier hommage. L’ex-président du Conseil en personne, Pierre Mendès France, assiste à la cérémonie, aux côtés de beaucoup de personnalités françaises et marocaines. « Les Français du Maroc peuvent également s’enorgueillir du nom de Jacques Lemaigre-Dubreuil. C’est beaucoup, pour sceller l’amitié de deux peuples, que d’avoir les mêmes martyrs », écrira François Mauriac en guise d’oraison funèbre. Pourtant, Jacques Lemaigre-Dubreuil n’a pas toujours été favorable aux mouvements de décolonisation. Partisan du maintien de l’empire français, il ne rejoint qu’assez tardivement la cause des indépendantistes. Son parcours politique révèle le caractère d’un homme d’action, ennemi de toute forme de dogmatisme. Issu de la bourgeoisie de province, il a vingt ans quand éclate la Première guerre mondiale, durant laquelle il combattra avec honneur. A l’armistice, Lemaigre-Dubreuil se lance avec succès dans les affaires. Huit ans plus tard, il épouse l’héritière des huiles Lesieur et prend la direction de l’entreprise familiale. Décriant la décadence de l’État républicain,
Par Omar Chraïbi
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j ai 82 ans,j ai été le seul témoin,visuel d avoir assisté à l assassinat,de monsieur le Maigre-Dubreuil,j habité au 3 étages, face à l entrée (coté Bd de la Liberté) de l immeuble Liberté.
Je suis surpris de découvrir près de 63 ans après l’existence d’un « témoin visuel » de l’attentat qui a coûté la vie à Jacques Lemaigre-Dubreuil qui, à l’époque, était le grand patron de « Maroc-Presse », journal où j’étais reporter. Il se trouve que ce 11 juin, je rentrais dans la nuit après le « bouclage » du journal à bord d’une Fiat Ballila décapotable par ce que l’on appelait le « Boulevard des Maréchaux », lorsque j’avais été dépassé par une traction-avant. Quelques instants plus tard, j’avais entendu une rafale. Et, en arrivant à hauteur de l’Immeuble Liberté (le « gratte-ciel de Casablanca », à l’époque, avec ces 17 étages, j’avais vu arrêtée perpendiculairement à l’immeuble, une Stude Baker vert-olive, celle de mon patron. La voiture venait d’être criblée au moment où J. Lemaigre-Dubreuil et son jeune compagnon s’apprêtaient à en desecndre. JLD n’est pas mort sur le coup, et son passager, indemne, hurlait. La seule personne de l’immeuble que j’ai vue à ce moment-là était l’épouse (une charmante scandinave) d’un chirurgien en renom, le docteur Chevret, avec laquelle j’avais pu m’entretenir. Cette dame n’avait rien vu. Pas plus que moi, sinon la traction. Mais elle m’avais prêté son téléphone (pas de portable, à l’époque !) pour que j’alerte le journal avant de suivre les policiers au Commissariat de permanence pour témoigner de peu de choses… A l’époque, j’aurais bien aimé pouvoir interviewé ce témoin oculaire… Dommage ! (précision : je suis dans ma 88 ème année, un archi-chibani)