Communément appelé am el boune, la période de la seconde guerre mondiale est marquée par un rationnement drastique des produits de première nécessité au maroc. Une terrible famine marquera longtemps les corps et les esprits
Les anciennes générations parlent de am el boune ou l’année du bon. En réalité, ce n’est pas une mais sept années de rationnement qui ont touché les Marocains entre 1940 et 1947. A cette période, l’argent n’a de valeur que pour se procurer ses fameux coupons, seul moyen de subvenir aux besoins les plus élémentaires. La politique du rationnement imposée par le Protectorat entraîne une catastrophe humanitaire de grande ampleur. Un comble pour un régime qui se définit lui-même comme un « protecteur ». Derrière les discours et la falsification des chiffres morbides, la France n’a d’objectif que sa propre survie, dans un conflit qui ébranle fatalement ses colonies. La population marocaine n’échappe pas à « l’invitation » à participer à l’effort de guerre. Outre les tirailleurs engagés sur le front, l’ensemble de la société est concerné par le rationnement. Nul ne peut s’y soustraire. Le doute s’installe. L’anarchie le suit. Le système de rationnement est un facteur important de la transformation sociologique du Maroc. Les habitants ruraux, ultra majoritaires en cette moitié de XXe siècle, migrent en masse vers les centres urbains. L’historien Daniel Rivet parle de la fin d’un Protectorat « courtois ». A la fin de la guerre, les Marocains comprennent que la France ne leur veut pas que du bien. De quoi alimenter la pensée nationaliste au cours de la dernière grande famine que le pays ait connu.
Le règne du « boune »
En 1939, l’atmosphère européenne est viciée par l’odeur de la poudre. La France, sûre de sa force et du soutien de ses colonies, se prépare à affronter la redoutable armée allemande. Le 24 juin 1940, la bérézina française se solde par le traité d’armistice. La défaite est politique, militaire, mais également économique. Le gouvernement vichyste est asphyxié et peine à nourrir sa propre population. Bien que la moitié sud de la France demeure « libre », le pouvoir est perdu dans sa zone nord, principal moteur économique du pays. En métropole, les pénuries s’aggravent et le rationnement est imposé. Néanmoins, les autorités n’ont plus d’autres choix que d’accélérer l’exploitation des richesses de leurs colonies. Dans l’urgence, des mesures s’abattent d’abord sur les territoires les plus proches, à savoir ceux d’Afrique du Nord. Dès l’été 1940, le décret du système de rationnement au Maroc tombe comme un couperet. Afin de faire passer la pilule, le Protectorat sollicite immédiatement l’appui du sultan Mohammed Ben Youssef, qui exhorte sa population à contribuer, sans conditions, à l’effort de guerre. Le professeur Boujemaâ Raouyane, un des rares à avoir étudié la quotidienneté marocaine pendant la Seconde Guerre mondiale, affirme l’existence d’une preuve de l’implication directe du Makhzen. « Nous avons récemment retrouvé une lettre signée de la main du sultan Mohammed Ben Youssef datée de l’été 1940 dans laquelle il s’aligne totalement en faveur de la politique coloniale. Il y est stipulé que tous les Marocains ont l’obligation de faire des sacrifices pour soutenir l’effort de guerre français. Cette lettre était lue dans toutes les mosquées du pays ». Prise de court, la population n’a d’autres choix que de se plier rapidement à un nouveau mode de vie. Cela implique que l’achat des besoins élémentaires ne peut s’opérer sans la présentation d’un ticket de rationnement, le fameux « boune ». Pour les classes les plus défavorisées, les produits concernés sont extrêmement limités. Il s’agit – quand il est possible d’accéder au bon – de pouvoir se procurer principalement du blé, du thé, de l’huile et du sucre. Les Français du Maroc sont également soumis à des restrictions, mais la palette de produits à pourvoir est plus large, comme le cacao par exemple. Tous les mois, les journaux réactualisent les produits soumis au rationnement et la quantité disponible dans chaque localité. Ce sont les moqadems et les caïds qui sont chargés de la distribution du précieux sésame. Naturellement, mieux vaut être dans leurs petits papiers au risque d’être tout bonnement privé de nourriture. Dans ce cas, le salut arrive souvent du marché noir qui fait exploser l’économie souterraine en ce début des années 1940. Les Marocains s’adaptent tant bien que mal jusqu’à l’imminence d’une pénurie tragique.
La famine et les épidémies
L’Histoire incombe la grande famine des années 1940 à une sécheresse ravageuse. Un alibi qui convient parfaitement au Protectorat, soucieux d’embellir son image au chevet du peuple marocain. La réalité est différente. D’après le professeur Boujemaâ Raouyane, la pluviométrie enregistrée en 1940, 1941 et 1942 atteint des records. La production céréalière est à son apogée. L’année 1941 est même restée dans les mémoires comme celle du « rat » : am el far. Un signe d’opulence car la population de rongeurs se multiplie dans les champs lorsque les récoltes sont abondantes. Malgré cela, les producteurs n’en profitent pas puisque la grande majorité des produits sont envoyés directement en métropole. Le Maroc, plus que toute autre colonie, devient le grenier de la France. Seulement, la combinaison du système de rationnement et de la rareté des ressources disponibles au Maroc mène le pays à la catastrophe. Le manque d’hygiène et de nourritures sévit d’abord dans les campagnes où apparaissent rapidement les trois grands fléaux que sont la peste, le typhus et la fièvre. L’historien Daniel Rivet décrit les « grappes de morts » partout dans le pays. Les archives françaises évoquent des Marocains « presque nus » du fait de la rareté du textile. Les linceuls des cadavres sont même régulièrement pillés pour en faire des habits pour les vivants. Le phénomène se développe au point qu’apparaissent, en 1943, des linceuls échangeables gratuitement contre un bon. La situation est tellement grave que les Français tentent de masquer la réalité en minimisant l’impact de la famine et des épidémies. Les chiffres officiels font état de 200 000 victimes. Pour notre chercheur, la seule année 1945 déplore plus de 300 000 morts. L’un des rares recours est de migrer vers des régions davantage épargnées telles que les zones de débarquement américain où les soldats offrent des provisions à la population. Leurs poubelles sont visitées par les Marocains, et un marché destiné à la revente des vivres et objets récupérés, s’est ouvert à Casablanca. A l’approche de l’année 1945, tous les voyants sont au rouge et la sécheresse s’invite au drame. Paradoxalement, la France prépare sa délivrance et n’hésite pas à lancer une souscription pour collecter « le milliard de la libération ». Incroyable scénario dans lequel la propagande lance un appel à aider « les enfants de France » dans un pays en plein chaos. La période de « am al boune » subsiste par voie de transmission orale et à travers des chansons populaires. Pour le reste, circulez il n’y a rien à voir… ni à manger.
Par Sami Lakmahri
Allah yeramhoum.amine
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allah yerhamhoum yarbi al 3alamine
On ne se lassera jamais de vous lire si Sami !