Ancienne et quasi immémoriale, la pratique de la torture apparaît comme inhérente à la condition et à la nature des hommes, où des individus ordinaires peuvent se révéler comme des tortionnaires monstrueux et abominables.
Dans son terrible récit de captivité et de calvaire, Tazmamart cellule 10, Ahmed Marzouki raconte l’histoire d’un co-détenu qui ne supportait plus le silence pesant du mouroir où ils étaient placés et se mettait à faire un boucan d’enfer : «Il lui arrivait très souvent de taper pendant prés d’une heure, de faire une pause de quinze à trente minutes et de reprendre de plus belle. Comment pouvait-il tenir physiquement ? Où puisait-il cette force et cette énergie pour se livrer à ce tam-tam infernal qui nous a obligés à endurer durant près d’un an une de nos plus terribles épreuves. Nous ne l’avons jamais compris. Que le directeur du bagne et les gardiens nous aient en toute quiétude laisser subir un tel calvaire prouve une nouvelle fois leur cruauté mental». Cet épisode, ainsi que tout le récit de Marzouki, met le doigt sur les souffrances physiques et psychologiques vécues par les emmurés de Tazmamart et le sadisme de leurs tortionnaires. Mais, c’est aussi un exemple, valable sous d’autres cieux, du rôle assigné à la torture pour détruire et vider de leur substance humaine les personnes qui la subissent en les transformant en objets sans valeur. C’est ainsi qu’au nom de la raison d’état, de la religion ou de l’intérêt de la nation, la torture est installée, justifiée et pratiquée. Dans Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt décrit comment l’anesthésie de la pensée et l’incapacité à réfléchir sur les conséquences de leurs actes criminels, conduisent les tortionnaires, en l’occurrence nazis, aux pires abominations. La torture devient alors une simple procédure technique, une fonction comme d’autres au sein de l’état, que certaines personnes ordinaires accomplissent parfois avec zèle et application. Une illustration de ce que H. Arendt désigne comme «la banalité du mal», où des individus «normaux» et sans profondeur diabolique deviennent des monstres qui n’hésitent pas à accomplir froidement des crimes de masse ou des exactions épouvantables. Des personnages qu’on retrouve dans cette longue et quasi immémoriale histoire de la torture, qui apparaît comme inhérente à la condition et à la nature des hommes.
Par la rédaction
La suite du dossier dans Zamane N°38