En août dernier, dans cette même rubrique (voir Zamane 164/165), je m’interrogeais sur le grand théâtre de Casablanca, prêt depuis 2018, qui restait dans sa majestueuse architecture, silencieux et sans aucune indication sur son sort. J’aurais pu poser la même question à propos de celui de Rabat, mais comme les travaux de ce dernier n’ont été achevés qu’en 2021, il m’a semblé plus juste de m’intéresser à celui de la capitale économique et à l’urgence de son ouverture. Cependant, la logique de l’État a suivi un autre chemin. Que ce soit celui de la capitale administrative ou celui de la capitale économique, l’essentiel est que nous avons gagné le premier round : un théâtre, un vrai, existe au Maroc.
Nous n’avons pas seulement gagné un théâtre, mais bel et bien un grand monument et une belle œuvre architecturale. Le Maroc a ainsi rompu avec un certain traditionalisme d’État en matière d’architecture. Le choix s’est porté sur un modernisme très avant-gardiste. Choisir l’architecte Zaha Hadid, c’était opter pour l’une des pionnières de l’architecture déconstructiviste, inspirée par une philosophie mêlant audace formelle et fluidité spatiale. Cette architecte d’origine irakienne s’appuyait sur des concepts comme le mouvement, la fragmentation et le dynamisme, qui trouvent leur source dans la philosophie déconstructiviste de Jacques Derrida. Mais tout en étant déconstructiviste, elle se démarquait par sa volonté d’intégrer des formes organiques et futuristes à ses ouvrages. Zaha Hadid explorait le potentiel de la géométrie complexe pour repousser les limites architecturales. Elle concevait des structures novatrices et non conventionnelles, marquées par des lignes courbes et des angles audacieux. Ses bâtiments donnent l’impression d’être en mouvement, comme s’ils flottaient ou s’intégraient dans leur environnement. Elle souhaitait offrir des espaces fluides et continus, sans séparation rigide entre intérieur et extérieur, créant ainsi une expérience immersive et dynamique pour les usagers. Ce sont là, certes, les principes du déconstructivisme, qui interrogeaient surtout les fondements et les a priori d’une pensée occidentale qui semble oublier ses origines dans une course effrénée vers le profit. Ce mouvement architectural rejette les formes géométriques et ordonnées du modernisme pour privilégier les structures fragmentées, les lignes discontinues et des compositions qui semblent défier l’ordre et la stabilité. Les bâtiments de ce style donnent souvent une impression de déséquilibre ou de chaos organisé, où les éléments semblent détachés ou en tension les uns avec les autres, créant des formes uniques et dynamiques. Parmi ses maîtres, outre Zaha Hadid, on compte Frank Gehry, Rem Koolhaas et Peter Eisenman. Pour dire que l’œuvre de Zaha Hadid, que les Rbatis et les Marocains vont désormais admirer de l’intérieur après l’avoir longuement observée de l’extérieur et de loin, est une véritable école d’architecture.
Mais la grande question demeure : la gestion, la programmation et la production seront-elles à la hauteur de l’édifice ?
Par Moulim El Aroussi