Leurs récits vous font plonger dans un monde qu’il aurait été difficile d’imaginer autrement. Mais la mission des explorateurs occidentaux au Maroc se limite-t-elle a décrire l’impénétrable Maroc d’avant Protectorat ? Les spécialistes en doutent fortement. Abdeslam Kninah s’est penché sur l’image que se fait la France de l’empire chérifien à cette époque. Il en conclut que les explorateurs ne sont pas étrangers au sentiment du devoir d’une «mission civilisatrice» au Maroc. Un rôle quelques fois assumé, mais qui demeure sous-estimé dans l’entreprise coloniale…
Pourquoi, jusqu’au Protectorat, le Maroc, pourtant aux portes de l’Europe, est-il jugé difficile à explorer par les Occidentaux, déjà auteurs d’expéditions mémorables en Amérique ou au cœur de l’Afrique ?
À mon avis, pour saisir les travaux et les enquêtes des explorateurs occidentaux et leurs représentations du Maroc avant le Protectorat, il faudrait tenir compte du contexte dans lequel ces travaux et ces représentations ont été produits. En effet, le Maroc reste à la première moitié de XIXème siècle enfermé dans une espèce de «muraille de Chine», résistant à la pénétration étrangère et aux perspectives modernisatrices et expansionnistes européennes. Mais, à la deuxième moitié du XIXème siècle et notamment après la bataille d’Isly (1844), et l’acceptation des clauses du traité de Lalla Maghnia, le royaume entre dans une série de concessions graduelles de larges portions de souveraineté à l’Europe.
Il en est ainsi du conflit coûteux avec l’Espagne (1856-1860) et surtout du traité de commerce avec l’Angleterre en 1856 qui, en ouvrant le pays au négoce transfrontalier avec l’extérieur, amène l’installation dans les ports d’une colonie étrangère qui va croissant, et qui aliène les prérogatives de l’État marocain en matière de fiscalité et de perception des droits de douane, tant les privilèges accordés aux étrangers sont abusifs et contraignants.
Votre ouvrage porte sur les «images françaises du Maroc» ; quels sont-elles justement entre le XIXème siècle et le début du siècle suivant ?
La France est alors déjà un empire colonial présent sur quasiment tous les continents. Son prestige national se bâtit sur les conquêtes de territoires étrangers. Il est important d’observer que les auteurs se réunissent autour d’une constante qui se cristallise dans la description tendancieuse d’un Maroc en état de dégénérescence, où les individus, qualifiés majoritairement d’indigènes, sont apathiques, où le système administratif et économique sont perçus comme rétrogrades et obsolètes. Le tout, agrémenté de sensations pittoresques très souvent dépréciatives et dévalorisantes.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°132