La rive sud de la Méditerranée n’est pas la seule concernée par la nostalgie persistante d’Al-Andalus : l’histoire contemporaine de l’Espagne met en évidence la résurgence régulière d’un phénomène «andalousianiste».
Depuis 1492, Al-Andalus ne cesse de hanter l’imaginaire collectif du monde arabe, comme une sorte de paradis perdu, d’ailleurs présent dans toute la littérature arabo-musulmane. Si au Maroc en général, et dans la zone nord en particulier, l’andalousianisme est resté un sentiment diffus dans la société, en Espagne, en revanche,il a pris les traits d’un mouvement plus ou moins structuré. L’idéologie coloniale espagnole commence à réellement prendre forme vers la fin du XIXe siècle. Les milieux expansionnistes espagnols construisent alors un système de pensée et d’opinion qui a la particularité de synthétiser les raisons poussant l’Espagne à avoir des visées sur l’Afrique, particulièrement le Maroc. Ainsi, les africanistes espagnols s’évertuent soit à exalter la fraternité ibéro-marocaine, en faisant valoir qu’il a toujours existé entre les deux parties une attraction secrète due, à leurs yeux, à des liens ethniques très anciens, soit à mettre en relief leur inimitié de tout temps.
«Reconnaissance de dettes»
Quoi qu’il en soit, on trouve dans certains écrits africanistes une sorte de glorification d’Al-Andalus, qui tient en fait à des raisons évidentes : il s’agit d’accréditer l’idée que les Espagnols et les Marocains n’ont jamais cessé de vivre dans l’entente et la coopération depuis cette époque « glorieuse ». Les tenants de cette philosophie coloniale commencent très tôt à défendre l’idée que l’Espagne se doit de « civiliser » le Maroc. Elle doit d’autant plus le faire, aux yeux des africanistes, que du temps d’Al-Andalus, les Marocains ont apporté leur contribution au progrès de leur pays ; moyennant quoi, il faut, d’après eux, honorer une sorte de « reconnaissance de dette » civilisationnelle vis-à-vis du Maroc. Coello, africaniste convaincu, écrit à la fin du XIXe siècle : « Nous, Espagnols, avons une dette vis-à-vis des Marocains, car tout en nous dominant, ils n’ont cessé de nous laisser des germes féconds, contribuant à développer notre agriculture, nos arts et nos connaissances scientifiques.… Cette dette, nous devons l’honorer en occupant à notre tour le Maroc, mais pas avec les armes, ni pour en convertir la population, en en faisant des serfs ou des vassaux mécontents, mais par le biais de la civilisation, pour en faire des citoyens dignes d’une grande nation » (lntereses de Espana en Marruecos, lnstituto de Estudios Africanos, Madrid, 1951, discours prononcé lors du Congrès de l’Association des africanistes à Madrid le 30 mars 1884).
Par Abdelmajid Benjelloun
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