Il y a déjà plusieurs années, j’avais vu le célèbre film «Montparnasse 19», où il est relaté une partie de la vie du célèbre peintre expressionniste italien Modigliani. Plutôt la fin de sa vie. Dans le film, superbement réalisé par le français Jacques Becker, sorti sur les écrans en 1958. Le rôle du peintre a été interprété par Gérard Philipe, et celui de sa femme par Anouk Aimée. Juste après la guerre de 14/18, Modigliani, Modi dans le film, rencontre Jeanne (Aimée Anouk) sur la côte d’Azur et les deux vont s’installer à Paris contre le gré des parents de cette dernière. La fille tombe dans la disgrâce des siens, se trouve sans ressources, vivant avec un artiste talentueux, mais fauché. Montparnasse à Paris est à ce moment-là le quartier des artistes, mais aussi des bars et de la vie nocturne. Des mécènes, dont l’Anglaise Beatrice Hastings, interprétée par la belle Lilli Plamer, allaient tenter d’organiser une grande exposition à l’artiste ; mais celle-ci tourne au fiasco.
Il faut savoir que le film est tiré du livre « Les Montparnos », de Michel Georges-Michel, de son vrai nom Michel Georges Dreyfus, écrivain et journaliste célèbre dans le monde de l’art pour avoir organisé la première exposition de Picasso à Rome en 1917. Le film n’est donc pas uniquement de la fiction, mais il relate une réalité combien difficile. Une dernière tentative pour vendre les toiles de Modi à un riche américain descendu au Ritz est un nouvel et dernier échec dont il ne peut se remettre. Là commence son vrai drame. Il tombe dans l’alcoolisme, ne va que très épisodiquement à son atelier et passe tout son temps à circuler dans les bars et à boire d’une manière démesurée. Sa tuberculose allait compliquer sa situation.
Et voilà que devient subitement important le rôle d’un marchand d’art Morel, incarné par Lino Ventura, la brute des écrans. Il avait souvent essayé d’acheter des œuvres à l’artiste mais sans succès. Il se faisait souvent remballer par l’artiste, et des fois avec beaucoup de mépris. Il ne démord pas, garde sa patience et suit l’artiste, de bar en bar, comme un rapace avide de sang. Il savait qu’il allait un jour succomber à sa maladie. Ce jour-là est arrivé. Au fond de la nuit, dans l’humidité de l’hiver, penché sur sa bouteille dans une gargote, les poumons de l’artiste lâchent. Le marchand se dépêche de le prendre dans sa voiture, l’emmène à l’hôpital, attend que son souffle soit totalement éteint pour revenir chez Jeanne dans l’atelier et la convaincre de lui vendre toute l’œuvre à un prix très bas. Elle accepte car elle voulait faire la surprise à Modi.
Il y a bien des années que j’ai vu ce film, en noir et blanc. Je l’ai dernièrement revu dans sa totalité mais, dans ma mémoire, à l’occasion d’un travail sur les marchands de l’art au Maroc. J’ai croisé des spécimens pires que Morel. Heureusement qu’ils sont encore rares. Des galeristes font encore leur noble travail, mais ces prédateurs travaillent dans le noir, sucent le sang des artistes vivants et précipitent leur mort. Depuis une décennie, l’art est devenu un lieu de traficotage. On vole, on contrefait et des fois même on duplique et on remplace. Je suis stupéfait quand on me dit que telle ou telle collection publique est truffée d’œuvres contrefaites d’artistes vivants et que ceci est l’œuvre de marchands de chez nous.
En France il y avait un Morel, j’ai bien peur que les nôtres se reproduisent vite et souvent à cause de l’ignorance de beaucoup de collectionneurs.