17 juillet 1970. Avec ses sept compagnons, le navigateur-ethnologue norvégien Thor Heyerdahl a finalement atteint l’île de la Barbade, à 250 kilomètres au sud-est de la Martinique, après avoir traversé l’océan Atlantique à bord d’un bateau en papyrus, le Râ-2. Pour Thor Heyerdahl, ce voyage prouve que les anciens Egyptiens auraient pu découvrir l’Amérique deux mille cinq cents ans avant Christophe Colomb, et deux mille ans avant les Vikings. Parti de Safi, au Maroc, le 17 mai dernier, Heyerdahl et ses sept compagnons – Georges Sourial (Egypte), Yuri Senkevitch (URSS), Norman Baker (États-Unis), Carlo Mauri (Italie), Santiago Genoves (Mexique), Madani Ait Ouhanni (Maroc), et Kei Ohara (Japon) – ont navigué deux mois, et couvert 5 100 kilomètres. A l’arrivée, seules les parties du bateau proches de la proue et de la poupe émergeaient hors de l’eau, mais cependant le Râ-2 flottait encore.
1969, l’échec…
Une première tentative s’était soldée en 1969 par un échec ; le navire alors construit, le Râ-1 avait été démantelé par le mauvais temps à 980 kilomètres de la Barbade. Très long, le Râ-1 avait été réalisé par des artisans du lac Tchad sur le modèle des bateaux égyptiens figurant sur les bas – reliefs des sépultures. En revanche, le Râ-2 a été construit par des Indiens du lac Titicaca, entre la Bolivie et le Pérou. Bien que ces deux groupes ethniques construisent et utilisent encore des bateaux de roseaux, Thor Heyerdahl estime que « ce voyage a prouvé que l’art de fabrication de telles embarcations a survécu plus longtemps » en Amérique du Sud qu’en Afrique, et attribue le succès de sa traversée au changement de façonniers. Le 17 mai, le départ fut donné pour la longue traversée. Pendant deux jours, nous avons navigué sous un vent favorable vers le sud longeant les côtes africaines, commenta Thor Heyrdahl. Le bateau progressait rapidement à raison de 100 miles en 24 heures. Mais lourdement chargé de 6 tonnes de marchandise, le bateau commençait à s’enfoncer chaque jour un peu plus. Par sécurité, les membres de l’équipage s’harnachèrent pour ne pas basculer. Par-dessus bord, ils jetèrent tout ce qui n’était pas jugé indispensable. Pour remonter le moral des troupes, les professeurs du Mexique et du Caire s’unissent pour faire le clown. Pendant que le bateau dérivait, des oiseaux de différentes espèces venaient se poser à bord. Des baleines avaient tournoyé un instant autour du bateau. Parmi les oiseaux, un pigeon bagué d’Espagne. Un message fut ajouté à ses pattes: je me suis arrêté sur RA II le 21 mai 1970. Mais le pigeon refusait de prendre son envol et avait choisi de rester sur l’Atlantique. Georges Sourial, homme grenouille, plongeait avec sa petite caméra sous-marine pendant l’inspection de Thor de l’état des faisceaux du papyrus. Nous étions rassurés que les fibres de joncs étaient en parfait état. Le bateau était resté immobilisé pendant 7 jours. Heyrdahl était plein d’appréhension car les joncs de papyrus ont une durée de flottabilité limitée. Les navigateurs essayèrent même de godiller, mais en vain, pour sortir le bateau de cette zone de calme plat. Après plusieurs jours d’attente, le vent était revenu, mais plus fort qu’espéré. L’esprit d’équipe était resté intact parmi l’équipage.
Un marocain à l’honneur
Pratiquement toutes les religions étaient représentées à bord. Le Marocain Madani Aït Ouhanni cherchait avec un compas la direction de la Mecque pour faire sa prière. C’étaient 8 hommes de races, de cultures, de religions et de nationalités différentes qui cohabitaient en parfaite harmonie sur quelques mètres carrés. A côté de l’Américain se trouvait le Russe et l’Egyptien était à côté du Juif. Je tenais à jour le journal de bord pour noter tout ce qu’était la navigation durant l’antiquité, relatait le norvégien. Des bas reliefs et des peintures trouvés en Mésopotamie montraient les mêmes bateaux que RA II. Ils étaient faits en fagots de joncs et créés de façon identique. Le sextant était notre seule concession aux techniques modernes de navigation, était-il relaté. Toutes les provisions étaient conservées comme dans l’Antiquité. L’eau se trouvait dans des outres en peau de chèvre et les victuailles dans des jarres en céramique. Des amandes, du pain durci, des raisins secs, des noix, des dattes et du sellou (mélange de miel, d’arachides et de farine) Des œufs frais aussi conservés dans de la chaux. Du beurre salé et bouilli ainsi qu’une bonne quantité de viande salée et de poisson séché. Après le calme, la tempêteUn jour, la mer est devenue grosse et le vent fort. Un annonçant un orage. D’abord, RA II avait supporté les vagues et la déferlante qui se retournait sur le pont. Une vague haute souleva l’embarcation et la laissa tomber brutalement cassant net un des 2 gouvernails. Pendant deux nuits et deux jours, les navigateurs luttèrent contre la mer pour maintenir le bateau en équilibre face aux vagues avec un seul gouvernail. Quand la mer s’est calmée, les marins rafistolèrent le bateau et se remirent en route vers les côtes américaines. Mais manœuvrer RA II était devenu plus compliqué alors que la moitié de l’océan était encore à parcourir. Mais nous étions stupéfaits de constater qu’aucune fibre ne s’était brisée et qu’aucun fagot ne s’était délié, raconta Heyrdahl. Un bateau plus rigide aurait-il pu résister plus longtemps contre les lames de l’océan? s’était-il interrogé. RA II qui parcourut 5.000 km marins était arrivé dans la zone des Antilles où se forment les cyclones américains. Le pigeon espagnol quitta le bateau pour ne plus revenir. A nouveau, d’autres oiseaux sont venus rendre visite aux navigateurs. Ce qui confirmait que les côtes se rapprochaient. Le bateau s’était encore enfoncé un petit peu et nous naviguions à la vitesse maximum de 4 nœuds, rapporta Heyrdahl. Un jour, la terre se profila enfin au lointain. La joie de l’équipage était aussi forte que la mienne éprouvée en 1947 après la traversée du Pacifique pour débarquer à Tahiti à bord du Kon-Tiki, décrivit le Viking. De nombreux bateaux sont venus entourer et accueillir les hommes de RA II pour leur souhaiter la bienvenue. L’accueil fut extraordinaire. On dirait que tous les îliens de la Barbade se sont réunis pour nous acclamer, était-il raconté. Le Premier ministre, des membres des Nations unies et une délégation américaine des chevaliers de Malte avaient tenu à assister à l’arrivée de RA II. La frêle embarcation était couverte de tabernacles mais aucune fibre de papyrus n’avait cédé. La traversée de l’Atlantique avait duré 57 jours. RA II avait parcouru 3.270 miles (6.200 km environ). Le bateau avait pour but de démontrer qu’une telle embarcation aurait pu, peut-être même, avait pu traverser l’océan pendant l’Antiquité. Et que contrairement aux affirmations courantes, rien ne permettait de refuser catégoriquement l’idée selon laquelle les bâtisseurs des pyramides de l’ancienne Egypte et les fils des civilisations précolombiennes avaient pu avoir des origines communes. L’objectif était aussi de démontrer que 8 hommes de nationalité différente sont capables de vivre ensemble en parfaite harmonie tant qu’ils luttent pour un but commun.