Hostile mais impuissant. C’est en ces termes qu’est décrit le makhzen du XIXème siècle. Le pouvoir tente par tous les moyens de résister aux offensives des puissances européennes à son égard, mais la pression est trop forte. L’infiltration des agents commerciaux et diplomatiques se multiplie dans les grandes villes. Une nouvelle communauté d’étrangers voit le jour. Auparavant, seul des captifs chrétiens ou de rares explorateurs voient le Maroc de l’intérieur. Mais déjà, certains intellectuels mettent en garde contre la prolifération du vin. C’est le cas de Sulayman ibn ‘Abd Allah al-Hawwat, juriste reconnu du début du XIXème siècle, qui encourage plutôt la consommation du thé : «Laissez le vin, c’est enivrant. Le Coran l’interdisant. Et prenez du thé à volonté ; Une boisson en toute légalité. Nous avons bu ce thé comme si c’était du bon vin. Une boisson licite, en harmonie avec le divin. Le thé est plus doux que l’alcool. Le buveur garde la divine parole». Les sages recommandations sont également accompagnées de mesures coercitives pour les buveurs récalcitrants. Il est question de plusieurs coups de bâton à l’encontre des malheureux buveurs musulmans pris en flagrant délit. Pour les dignitaires du régime ou les religieux, la honte et la disgrâce suffisent à leur peine. Cependant, cet état de fait n’a rien d’exceptionnel et la production de vin reste largement maîtrisée par le makhzen. Cette quiétude est troublée d’abord par l’ouverture de tavernes et autres cabarets destinés officiellement aux Européens résidant au Maroc. Ces établissements explosent littéralement dans les villes de débarquement des marchandises. Les grands ports de la Méditerranée puis ceux de l’Atlantique en sont subitement garnis. Le cas de Tanger est éloquent. Mohamed Houbaïda, l’historien marocain spécialiste de la question, cite des chiffres stupéfiants. En 1894, la ville du détroit ne compte pas moins de 200 bars, soit 150 de plus qu’en 1885. Parmi les boissons alcoolisées, le vin garde la préférence des consommateurs, y compris chez les musulmans. Ce mouvement est dénoncé comme une dérive par les autorités du pays. Le makhzen s’inquiète et le fait savoir dans une note adressée aux consulats étrangers : «L’abondance du vin dans le pays ne peut avoir que des répercussions négatives sur les habitants de confession musulmane». Le sultan Moulay Hassan lui-même s’insurge dans une lettre à l’un de ses caïds : «La canaille, parmi les musulmans, est déroutée. Les gens boivent du vin en public, s’enivrent dans les rues sans aucune retenue». Bien que ne manquant pas de volonté, les autorités ne peuvent rien contre la normalisation de la consommation du vin. Les tavernes européennes sont sous la protection consulaire et diplomatique du pays d’origine des tenanciers. Ainsi, Français, Espagnols et Italiens, propriétaires de bars, n’ont de comptes à rendre qu’à leurs consulats respectifs. Malgré les protestations marocaines, ils ne voient aucun intérêt économique à en interdire l’entrée aux musulmans.
Aucun Résultat
View All Result