Au Festival du livre qui s’est tenu au Grand Palais à Paris, une table ronde a été consacrée à la thématique de l’écriture sur l’art, en particulier au Maroc, mais aussi ailleurs dans le monde. Voici mon point de vue : Écrire sur l’art visuel, c’est s’aventurer dans une langue qui cherche à approcher l’indicible. Contrairement à d’autres formes de critique ou de discours, le texte qui accompagne une œuvre d’art n’est jamais tout à fait explicatif, ni vraiment démonstratif. Il tente plutôt de faire résonner, à travers les mots, une expérience sensorielle, une intuition visuelle, un trouble ou une révélation silencieuse. L’écrivain ou le critique d’art avance souvent à tâtons, guidé non par la volonté de dire ce que l’image veut dire -car bien souvent, elle semble ne rien vouloir dire- mais par le désir de partager ce qu’elle fait ressentir. L’écriture sur l’art visuel peut emprunter plusieurs chemins. Elle peut être descriptive, attentive aux formes, aux couleurs, aux matières. Elle peut être analytique, inscrivant l’œuvre dans une histoire, une série, une esthétique. Mais elle peut aussi être poétique, digressive, fragmentaire, s’autorisant des écarts, des fulgurances, des hésitations. Car écrire sur une peinture, une installation, une photographie, ce n’est pas écrire sur quelque chose comme on écrit sur un sujet défini ; c’est écrire à partir de, ou au bord de cette chose qui résiste au langage. L’œuvre devient un point de départ, un tremblement, une énigme qui ouvre un espace d’écriture.
Souvent, l’écriture sur l’art se mesure à une tension : celle entre le visible et le lisible. Elle tente de traduire, sans trahir, ce que l’œil capte et que la main de l’artiste a figé dans une forme. Cette tension est féconde. Elle oblige l’auteur à inventer une langue propre à chaque œuvre, ou du moins à chaque rencontre. Ainsi, chaque texte sur l’art est aussi un exercice de style, une manière d’inventer un rythme, une voix, un regard. L’œuvre ne demande pas qu’on la commente, mais qu’on l’écoute, qu’on s’en approche avec précaution, parfois même avec silence. Cette écriture est souvent située à la croisée de plusieurs savoirs. Elle convoque la philosophie, l’histoire, la sémiologie, parfois la psychanalyse, mais aussi la littérature, la poésie, la mémoire personnelle. Car l’art visuel, bien qu’il s’adresse aux yeux, touche des zones plus profondes de l’expérience humaine. Il travaille nos affects, nos souvenirs, nos désirs, nos oublis. Écrire sur lui revient alors à se rendre disponible à cette profondeur, à ce mélange de pensée et d’émotion qui nous dépasse. Loin de vouloir clore le sens, l’écriture sur l’art ouvre. Elle prolonge l’œuvre, lui offre des échos, des bifurcations, parfois même des malentendus féconds. Elle ne cherche pas à expliquer, mais à accompagner, à rendre justice à une forme de beauté ou de trouble. Et surtout, elle rappelle que l’art n’a pas besoin des mots pour exister, mais que les mots, parfois, ont besoin de l’art pour se réinventer.
Par Moulim El Aroussi