À 99 ans, Edgar Morin revient avec un livre appel aux consciences («Changeons de voie», publication le 17 juin aux éditions Denoël), rédigé en collaboration avec son épouse, la sociologue Sabah Abouessalam. Dans ces extraits, que nous offrons en exclusivité pour nos lecteurs, le grand essayiste et humaniste remonte le fil du temps et nous donne les clés pour mieux comprendre la crise née du Covid-19… Et pour mieux en sortir en privilégiant l’élément humain, encore et toujours…
«Je suis une victime de l’épidémie de la grippe espagnole, et du reste j’en suis mort, en fait né-mort, et ranimé par les giflements ininterrompus du gynécologue qui me tint trente minutes suspendu par les pieds. Je n’ai aucune mémoire de l’événement, mais j’en garde la marque jusqu’à maintenant par un sentiment d’asphyxie qui me saisit parfois, me donne l’illusion d’étouffer et dont je me délivre par un profond soupir». 99 ans plus tard, c’est le coronavirus, descendant indirect de la grippe espagnole (H1N1), qui vient me proposer le rendez-vous raté à ma naissance.
Cent ans de vicissitudes
Cette crise ouverte par la pandémie du Covid-19 m’a grandement surpris, mais elle n’a pas surpris ma façon de penser, elle l’a plutôt confirmée. Car finalement je suis l’enfant de toutes les crises que mes 99 ans ont vécues. Le lecteur peut comprendre maintenant que je trouve normal de m’attendre à l’inattendu, de prévoir que l’imprévisible peut advenir. Il comprendra que je craigne les régressions, que je m’inquiète des déferlements de barbarie et que je détecte la possibilité de cataclysmes historiques. Il comprendra aussi pourquoi je n’ai pas perdu toute espérance. Il comprendra donc que je veuille éveiller, réveiller les consciences en consacrant mes ultimes énergies à ce livre. Certes, il y eut bien des pandémies dans l’histoire. Certes, l’unification bactérienne du globe s’est opérée dès la conquête des Amériques, mais la nouveauté radicale du Covid-19 tient à ce qu’il est à l’origine d’une méga crise, faite de la combinaison de crises politiques, économiques, sociales, écologiques, nationales, planétaires s’entretenant les unes les autres, aux composantes, interactions et indéterminations multiples et liées entre elles, c’est-à-dire complexes dans le sens originel du mot complexus, «ce qui est tissé ensemble».
(Ce texte a été assemblé à partir d’extraits du livre à paraitre d’Edgar Morin («Changeons de voie», éd. Denoël). La présentation et les titres intérieurs sont de Zamane. Nous remercions l’auteur, la co-auteure, Sabah Abouessalam, et son éditeur pour leur confiance. Toute reproduction ou traduction sont strictement interdites).
Par la Rédaction
Lire la suite de l’article dans Zamane N°115