Dès sa création, la cité idrisside a abrité de riches familles de négociants dont la prospérité s’est perpétuée à travers les siècles. Ces dynasties ont posé les premiers jalons du capitalisme marocain.
Pour plusieurs lecteurs de l’histoire économique récente, la notion de capitalisme marocain est née d’une méprise. C’est ce qu’exprime l’économiste Mohamed Ben Moussa quand il affirme : « Même si l’histoire du Maroc retient l’existence, dès le début du XXe siècle, d’une bourgeoisie opérant dans l’agriculture et les affaires, le commerce et l’importation de marchandises, c’est la loi dite de marocanisation qui constitue le véritable acte de naissance du capitalisme marocain ». Pourtant, plusieurs autres observateurs estiment que la ville de Fès a donné naissance à une bourgeoisie patricienne dont les origines remontent aux toutes premières conquêtes arabes et que, à la veille du protectorat, le Maroc connaissait déjà un début de capitalisme issu de cette ville. Pour l’historien Larbi Kninah, « dès le XVIIIe siècle, les tujjârs (négociants) s’ouvrirent sur le monde extérieur et devinrent les principaux importateurs de produits européens qu’ils distribuèrent à travers plusieurs contrées du Maroc. Ces tujjârs se transformèrent, par la suite, en agents de pénétration européenne » (in Evolution des structures économiques, sociales et politiques du Maroc au XIXe siècle, Fès : 1820-1912). A titre d’exemple, les familles Benjelloun, Bennani, Bennis et Bouayad ont fait fortune dans le négoce du textile avec l’Angleterre.
Une cité qui «fait pousser la fortune»
Les descendants de ces familles ont constitué de véritables dynasties. En plus de leur fortune commerciale, ils ont acquis le privilège de la fonction qui, depuis la révolte de Fès en 1920, les a portés au pouvoir. Ils ne l’ont plus jamais quitté, à aucun moment de l’histoire du Makhzen. Les Benslimane, Tazi, Benchekroun et Bennani étaient vizirs ou chargés de l’exploitation des domaines fonciers et de la gestion du Trésor public. D’autres, comme les Chraïbi, Benkirane, Guessous et Berrada, ont occupé des postes importants, notamment dans le négoce, les finances, la diplomatie et l’administration fiscale. Aujourd’hui encore, ces familles dominent largement le monde des affaires ainsi que l’appareil étatique. C’est donc à Fès que le capitalisme marocain a pris naissance. A l’aube du XXe siècle, la ville renfermait déjà en son sein une couche sociale dynamique, qui avait réussi à accumuler un capital assez substantiel et qu’on peut qualifier de bourgeoisie.
Par Driss Benali
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