Comment une petite communauté de juifs marocains originaires de Tétouan va migrer vers l’Algérie d’abord, et s’éparpiller en Amérique. Aux origines d’un exode.
Bien avant l’émigration massive des citoyens marocains de confession israélite en Israël, au Canada et en France après la fondation de l’Etat d’Israël (1948), l’indépendance du Maroc (1956), puis la Guerre des Six-jours (1967) et enfin celle du Kippour (1973), il y a eu une autre émigration, fluide et considérable, mais beaucoup plus ancienne qui a vidé une partie du nord du Maroc de ses juifs. Il s’agit de l’émigration au XIXème siècle des juifs marocains hispanophones et descendants, selon leurs croyances, de la Castille à l’époque d’Al-Andalus, premièrement vers Oran (Algérie française), puis vers l’Espagne et le Nouveau Monde, en Amérique Latine.
Cette émigration est généralement considérée comme étant le fait des juifs de Tétouan, et dans une moindre mesure de leurs coreligionnaires tangérois. Vivant dans deux cités ayant le contact facile avec l’étranger, ces israélites étaient, contrairement aux juifs de l’intérieur du Maroc, moins traditionalistes et par conséquent moins attachés à leurs mellahs, leurs temples et leur passé marocain. Si Tétouan, par exemple, était appelée la « Petite Jérusalem », la religiosité de ses habitants juifs n’était pas excessive. Ils se considéraient des « megorachim », c’est-à-dire les descendants des séfarades expulsés d’Espagne en 1492, parlaient la haketiya, un dialecte judéo-espagnol, ou encore le tétouanais, un autre dérivé du vieux castillan. Au tout début du XIXème siècle, il y a bien eu un flux migratoire vers l’Amérique Latine, mais il était tellement insignifiant qu’il est resté pratiquement méconnu. Le grand chambardement se produit après la Guerre d’Afrique (1859-1860), qui a opposé le Maroc à l’Espagne. Quand les armées espagnoles pénètrent victorieuses dans Tétouan, elles ne trouvent pas que des ennemis sur leur passage. À l’entrée de la cité, les troupes espagnoles sont accueillies en «libérateurs» par la population juive. L’écrivain espagnol Pedro Antonio de Alarcon, combattant volontaire durant le conflit, le raconte dans ses chroniques publiées sous le titre «Diario de un testigo de la guerra de Africa» (Journal d’un témoin de la guerre d’Afrique). Sarah Leibovici, auteure de l’indispensable «Chronique des juifs de Tétouan » (Maisonneuve et Larose, 1984), le confirme avec moult détails. Selon Leibovici, ces juifs hispanophones, installés dans cette ville depuis le XVème siècle, ont fêté ces « retrouvailles » avec les Espagnols comme pour fermer une parenthèse.
Par Younes Messoudi
Lire la suite de l’article dans Zamane N°79