Je crois au Maghreb pour des raisons à la fois objectives et subjectives, mais la tournure des choses me rend plutôt sceptique. Il n’y aura pas d’intégration maghrébine dans le futur proche. Le ton a été donné à al Mouradia, à Alger, où on préfère voir ailleurs et mettre de l’ordre à l’intérieur. C’est légitime. Rabat a préféré aussi s’investir en Afrique. C’est compréhensible. Le dossier libyen, où on pourrait déceler une convergence sur le fond entre Alger et Rabat, devient la pomme de discorde qui se rajoute à l’épineux dossier du Sahara. Le prochain round des relations entre les deux pays sera plus dur et portera la marque des rounds précédents, depuis 1963. L’affaire du Sahara est l’arbre qui cache la forêt. Lisez l’article de l’excellent journaliste algérien Taoufiq Rabbahi, dans «Al Quds Al Arabi» sur les tumultueuses relations maroco-algériens, vous serez édifiés sur la nature du conflit saharien. Il n’est pas la cause de la tension entre les deux pays, mais la conséquence, voire le paravent. Le champ de confrontation ne sera pas, hélas, l’économie mais la diplomatie. Chacun œuvrera à titiller l’autre, plus pour la gloriole que pour l’intérêt. On sait où se trouve l’intérêt, mais pour des raisons de «nif» et d’«aghnnane», on se tourne le dos.
En attendant… il ne faut pas attendre. Cultivons notre jardin. Et n’en déplaise à Marx, il faudra commencer par le politique avant l’économique. C’est qu’au Maroc, le politique prime sur l’économique. La politique devra reprendre ses droits ; partis, syndicats, corps intermédiaires, et surtout avec des nouvelles règles. Le parachutage et le clonage ont été néfastes sur le champ politique. N’y pensons plus. Cela ne mérite pas qu’on s’y attarde. Mais au préalable, il est impératif qu’il y ait réconciliation. Dans chaque décompte, on passe par pertes et profits pour ouvrir une nouvelle page. Il ne faut pas qu’il y ait, dans notre pays, de délit d’opinion. Le seul, comme disait feu Hassan II, est de prétendre que le Sahara n’est pas marocain, ou que le Maroc n’est pas saharien. Le reste se gère ou doit se gérer. Quand on opte pour le durcissement, on s’aliène une partie de ses enfants qui, devant la chape de plomb, les procès ou les commérages, se braquent et se radicalisent. Souvent par réaction. Sur le court terme, les appareils sécuritaires l’emportent. Mais l’Histoire n’est pas figée. Le gagnant d’aujourd’hui risque d’être le perdant de demain. Ne l’oublions pas, l’Histoire a plus d’imagination que le genre humain.
Le reste suivra : le modèle de développement, le développement humain, la convergence, l’effet de levier, le «process», l’aide aux PME, et que sais-je encore. Il y a des champs où l’intelligence seule ne suffit pas, et pour paraphraser Dostoïevski, il faut plus que l’intelligence pour faire les choses intelligemment. Autre dossier sur lequel il ne faut pas tergiverser est celui de l’éducation. Il y a, incontestablement, une prise de conscience, et c’est salutaire. Il faut encore élargir le débat, ne pas se lasser de l’écoute, sachant bien qu’il faut s’armer de patience dans ce chantier de longue haleine.
Et puis notre diplomatie ; il ne faut plus qu’elle soit occasionnelle, ni réactive, émotionnelle. Une partition de piano se joue à dix doigts, à défaut on tombe dans la cacophonie. La dimension africaine est stratégique. Encore faut-il mesurer les priorités, les moyens et les partenaires, en interne comme en externe, pour éviter le double emploi ou les conflits intempestifs. Mais convenons que le Maroc a été longtemps absent de la scène arabe, et que la politique arabe du Maroc a été réduite à quelques pays «frères du Golfe», avec les vicissitudes propres à cette région, dans une zone de rift idéologique et stratégique, et de grand chambardement. Le Maroc s’est investi, à son honneur, dans le dossier libyen, conscient que cela pourrait avoir des répercussions stratégiques sur la paix et la sécurité en Méditerranée. Il est impératif d’actionner ces leviers en dormance dans le monde arabe, pour agir de concert avec d’autres partenaires.
Il faut cultiver son jardin car le monde, n’en déplaise à Panglos, le précepteur de Candide, n’est pas pour le meilleur dans le meilleur des mondes. La réalité nous rattrape toujours. Parole de candide, avec un c minuscule, cette fois-ci.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane