Comment et selon quel critère peut-on définir la valeur des œuvres qu’on vend tous les jours et partout sur le marché de l’art ?
Un monsieur m’appelle un jour et me demande d’expertiser quelques œuvres d’artistes marocains, car il comptait les remettre sur le marché pour une éventuelle vente. J’examine les tableaux et lui établis des fourches de prix. Il fut d’abord étonné car il y avait parmi ces œuvres celles de certains artistes défunts et qu’il les avait, suite aux bruits qui courent, surévaluées. Il y avait aussi des œuvres de qualité esthétique et intellectuelle de haut niveau et dont il avait conscience et croyait qu’elles pouvaient être très demandées sur le marché. Mais mon client était étonné de voir des prix qui allaient à l’encontre de ses attentes. Il a finalement proposé les œuvres à la vente et mon expertise s’est avérée plus ou moins juste. Ce petit moment de débat avec ce monsieur m’a incité à réfléchir sur la valeur de l’œuvre d’art non seulement au Maroc mais un peu partout dans le monde. Est-ce que la valeur de l’œuvre d’art lui est intrinsèque ou y a-t-il des critères et des paramètres extra artistiques qui rentrent en jeu et déterminent la valeur de l’œuvre ?
Qu’est-ce qui fait que des artistes soient très demandés, ou pour parler d’une manière populaire très à la mode, et que d’autres malgré la haute valeur, artistique, spirituelle et intellectuelle de leurs œuvres ne soient pas en vogue ? Le marché de l’art a-t-il connu un changement particulier par rapport au siècle dernier ? Au Maroc et dans le monde d’aujourd’hui, l’œuvre d’art ne porte pas sa valeur en elle-même. Des artistes surgisent souvent de nulle part, passent un temps sur le marché de l’art avant de disparaitre, souvent à jamais. Aujourd’hui, une œuvre vaut plus par le bruit qui l’entoure, en d’autres termes par l’agressivité communicationnelle que l’artiste ou ses agents organisent autour d’elle. Le monde de l’art n’est plus ce domaine où le spirituel tient une place qui le distingue du commerce des objets usuels. L’œuvre d’art est devenue comme n’importe quelle autre marchandise où elle doit faire face à la concurrence et se frayer un chemin dans le monde de l’argent. Cela donne l’impression qu’on vend plus l’événement qu’autre chose.
L’exemple le plus éloquent est bien celui de l’œuvre de Banksi qui s’est autodétruite au moment où elle a été adjugée dans une vente aux enchères. Le collectionneur qui l’a achetée est rentré chez lui avec une petite histoire : « Il était une fois une œuvre qui par magie a été détruite au moment où quelqu’un l’a achetée ».
Les musées qui draguent le public par ce genre d’anecdotes, ou les collectionneurs amateurs, comme on en a au Maroc, cherchent plus à rentabiliser la littérature accumulée autour de l’œuvre que la valeur artistique elle-même. On vend plus l’art de la parole que l’art lui-même.
Je ne me lasserai jamais de citer un ami galeriste qui m’avait confié un jour : «Le Marocain n’achète pas parce qu’il a vu, mais par ce qu’il a entendu».
Par Moulim El Aroussi