Le mois d’août au Maroc a ceci de particulier qui n’a rien à voir avec la variation du mercure à la hausse. C’est plutôt l’événementiel politique qui rentre dans une phase d’hyperactivité. Tout se passe comme si ce pic estival était propice à la production de l’Histoire, dans le bon sens comme dans le mauvais. Pour ce numéro d’été, nous nous proposons de vous relater quelques faits marquants de ce moment de l’année par le passé et par ordre chronologique. Notre objectif est de donner, autant que faire se peut, à se remémorer, à se familiariser et à comprendre.
En 1953, août n’était pas vraiment fait pour partir en congé, même si le vocable n’était pas adapté à cette époque. C’est durant ce mois que tout allait se jouer entre une France coloniale et un Maroc qui aspirait à l’indépendance et à la souveraineté nationale. Les lignes de partage, déjà tracées, entre la Résidence et le mouvement de libération, se durcissaient de plus en plus. Se rappelant que la conquête du Maroc avait été longue et meurtrière pour ses troupes, la France avait fait semblant de lâcher du lest en proposant, dès 1942, un mélange ambigu d’interdépendance et de souveraineté sous contrôle, le tout sur la base du Traité de Fès du 30 mars 1912. Le sultan Mohamed Ben Youssef fut sommé, le 13 août 1953, de s’y plier, sous peine d’être déposé. Adoptant la même position que le mouvement national, il refusa et entama une grève de signature des dahirs que la Résidence lui soumettait. Une semaine après, le 20 août de la même année, la France passa à l’acte et contraignit le sultan et la famille royale à l’exil en Corse, puis à Madagascar. Un vieux cousin du roi, Mohamed Ben Arafa, fut mis sur le trône sur décision de Paris.
Ce fut le début de la radicalisation de la résistance urbaine. Des réseaux d’activistes nationalistes s’organisèrent dans les villes et les villages, où des coups très durs prenaient pour cible la présence coloniale, sous toutes ses formes. Un épisode qui s’inscrira dans les annales du calendrier officiel, sous l’appellation de « Révolution du roi et du peuple ». La facture fut très lourde. Elle le sera encore plus avec la création, en 1954, de l’Armée de libération nationale (ALN).
Ce soulèvement populaire amènera la France à ouvrir des négociations préliminaires à Aix-Les Bains entre le 22 et le 26 août 1955. La France, pays occupant et organisateur, exigeait que tous les courants politiques du Maroc soient représentés, aussi bien les nationalistes de l’Istiqlal et du PDI (Hizb Achoura), que les collaborateurs proches de la Résidence. Au total, pas moins de trente-sept délégations différentes prirent part à ces pourparlers. Une foire plutôt qu’un forum ! Seuls les dirigeants de la résistance urbaine et de l’ALN, ainsi que les syndicalistes, à savoir les engagés de la première ligne, manquaient à la table. Les Français n’en voulaient pas ; quant à l’Istiqlal, dont ils étaient plus que proches, il n’a pas vraiment insisté pour obtenir leur présence. Pour une première étape, les résultats ne furent pas totalement décevants.
Ils se résument en cinq points : départ de Ben Arafa, constitution d’un Conseil du trône, formation d’un gouvernement d’union nationale, poursuite des négociations avec la France, nécessité d’obtenir la caution du roi Mohamed Ben Youssef et son retour en France.
Et pourtant, ces accords ne feront pas l’objet d’un consensus historique réunissant toutes les composantes du mouvement national. Une fraction non négligeable de l’ALN, appuyée par le Croissant noir, réputé, lui, proche des communistes marocains, voulait poursuivre le combat pour libérer le Sud marocain et incorporer une partie de ses forces au FLN algérien. C’était la naissance de dissensions internes, parfois violentes, qui accompagneront le Maroc dès son indépendance. Un autre événement, cependant, daté du 21 août 1963, viendra s’intercaler dans une crispation politique extrême. Il s’agit de la naissance du prince héritier et l’actuel roi Mohammed VI. Une donnée de la plus haute importance pour un régime monarchique où la succession est fondée sur la primogéniture masculine. Moins de dix ans après, un 16 août 1972, le Boeing qui ramenait Hassan II de France fut attaqué par des avions militaires des forces armées royales. A peine un an auparavant, le 9 juillet 1971, à Skhirat, un premier coup d’Etat militaire avait été avorté dans un bain de sang. Cette fois-ci, la tentative du putsch en plein ciel, fomentée par le général Oufkir, aurait pu tourner au régicide si le roi n’y avait échappé par miracle. La presse française parlera de la baraka de Hassan II.
Sur ce, Zamane vous souhaite de très bonnes vacances et vous donne rendez-vous en octobre prochain.
Youssef Chmirou, directeur de la publication