Entre faillite économique, effondrement militaire et chaos politique, le Maroc a pourtant bien tenté, malgré tout, de timides réformes pour coller à une certaine modernité, surtout à la fin du XIXème siècle. Pourquoi sont-elles restées sans effet ?
Les réformes ratées de la fin du XIXème siècle sont arrivées dans un contexte particulier : celui du pré-Protectorat, alors que les Marocains se réjouissaient encore de la victoire de la bataille des Trois Rois (1578), quand les Saâdiens avaient vaincu une puissante force ibérique (Portugal) et tenu en respect le menaçant empire ottoman. Cette victoire historique eut un impact durable sur les esprits même si, concrètement, elle ne fut suivie d’aucun effet, puisqu’elle ne permit ni la récupération des bastions du littoral atlantique ou méditerranéen, toujours entre les mains des Ibériques, ni de repartir à l’assaut d’al-Andalus, ce «paradis perdu» pour les musulmans. En dehors de rares cercles d’initiés, la société marocaine et une partie de l’élite croyait encore fermement à la «suprématie de Dar al-Islam» et ne comprenait pas que l’Europe, en face, était en train de réaliser d’énormes progrès tant techniques (en matière militaire, économique), qu’humains (ouverture à la démocratie, aux sciences, à l’éducation). Si le début du XIXème siècle confirma l’enlisement du royaume, et sa «déconnexion» des nouvelles réalités, il apporta aussi son lot de malheurs avec une grande épidémie de peste, qui perturba les équilibres démographiques du royaume. Pour ne rien arranger, le sultan Moulay Slimane (1790-1822) procéda au démantèlement définitif des restes de la flotte marocaine en 1817. C’est-à-dire au moment même où les appétits étrangers commençaient à s’aiguiser, puisque la France s’installera dans l’Algérie voisine quelques années plus tard, en 1830. Preuve, s’il en est, de cette déconnexion et de cette méconnaissance des réalités et des enjeux de l’époque. Lorsque l’occupation devint un fait accompli aux confins de l’Oriental, le makhzen se trouva ainsi sans défense, complètement démuni. Désarmé face aux exigences d’une économie de marché, et sans infrastructures routières, ferroviaires et portuaires. Et sans armée régulière et organisée, sans usines d’armement, bref sans aucun moyen pour tenir tête à l’écrasante supériorité militaire d’en face…
Par Younes Mesoudi
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