La foule en liesse a accueilli Mahmoud Abbas en héros. De retour en Cisjordanie, le président de l’Autorité palestinienne, qui était allé à New York demander officiellement que l’Onu reconnaisse la Palestine comme son 194e Etat membre, n’a pas boudé son fulgurant retour en grâce auprès de l’opinion publique. « Je suis allé devant les Nations Unies porter vos espoirs et vos aspirations, et votre besoin d’un État indépendant », a-t-il scandé devant la foule. « Nous disons au monde qu’il existe aussi un Printemps palestinien. Un printemps populaire, un printemps de lutte pacifique. Frères, levez la tête, vous êtes palestiniens ! »
La fierté d’être palestinien, voilà une gloire que beaucoup avaient oubliée. Humiliés en Israël, oubliés par les gouvernements arabes, les Palestiniens avaient sans doute grand besoin d’un peu de baume au cœur. Car c’est de cela qu’il s’agit : « une noisette de pommade et un chouïa de romantisme ». C’est en tout cas ce qu’ont répété en boucle la plupart des commentateurs occidentaux, voulant sans doute nous faire accroire que la manœuvre de Mahmoud Abbas n’était que symbolique, voire politicienne : faire vibrer une fibre nationaliste usée jusqu’à la corde et surfer sur l’actualité d’un printemps arabe qui s’éternise.
C’est en fait tout autre chose qui se noue sous nos yeux : en ce début de millénaire, le monde ébahi comprend qu’après plus de cinq siècles d’un essor sans précédent, l’Occident est en passe de perdre son leadership. Dans ce contexte, l’initiative de Mahmoud Abbas peut donner un sens aux printemps arabes. La cause commune de tous ces printemps, ceux qui s’éternisent, ceux qui tuent et ceux qui déçoivent, peut et doit être celle de la Palestine. C’est ici, en condensé, que se joue la renaissance des peuples au sud de la Méditerranée. On a partout répété que l’essence des révoltes arabes était le besoin de liberté. Mais la mère de toutes les servitudes n’est-elle pas celle imposée aujourd’hui par Israël à la Palestine ? On a partout répété que les jeunes qui ont été le moteur de cette histoire ne se préoccupaient ni de prêches, ni de religion. Mais y a-t-il besoin d’un Dieu pour réclamer justice ?
Cela, Mahmoud Abbas l’a compris et il a pris Obama en otage. Barack Hussein Obama était pourtant en passe de faire mentir la théorie du choc des civilisations : un noir, d’origine musulmane, président de la principale puissance occidentale, voilà qui pouvait donner de nombreux espoirs à tous les kantiens du monde. Car nous en sommes toujours là : à l’éternel affrontement entre Kant et Hegel. Le premier s’est fait l’apôtre de la paix entre les nations, le second n’a cru qu’aux grands hommes et à la patrie reconnaissante. Obama a peut-être l’occasion historique de réconcilier les deux philosophes. Son dilemme est simple : soit il oppose son veto à la revendication palestinienne et il perd tout le bénéfice de sa « politique arabe », illustrée par le discours du Caire et par le soutien aux révolutions tunisienne, égyptienne et libyenne. Soit il résiste au lobby israélien et prend le risque de perdre une élection présidentielle qui s’annonce déjà très difficile. Kant et Hegel seraient pourtant ici d’accord sur le choix à faire : entrer dans l’Histoire comme le grand réconciliateur. C’est cette opportunité que Mahmoud Abbas offre à Barack Obama. La saisira-t-il ? Sans doute pas. Mais ici, en en tout cas, se joue à la fois le destin d’un homme, l’avenir d’un peuple et la preuve par l’exemple que la démocratie vaut aussi à l’échelle des relations internationales et de l’Onu.
Par Youssef Chmirou, directeur de la publication