Impossible d’y échapper. La vie de Chaïbia, autant que son art, voire plus encore, reste emblématique. Retour donc sur cette vie qui résume à elle seule, ou presque, les mille et un contrastes des arts plastiques au Maroc.
Partie de rien, parfois considérée comme une folle, elle était pourtant destinée à devenir une artiste-peintre de renommée internationale. «On me traitait de msettia (folle). J’étais dingue de coquelicots et de marguerites. On me trouvait bizarre, mais ça ne m’empêchait pas de me couvrir de fleurs», aimait-elle répéter. Dans les Chtouka, commune rurale de la province d’El Jadida, Chaïbia est née avec l’âme champêtre. Avec une couronne de fleurs dans les cheveux, elle a parcouru les champs et les pâturages de son village, comptines au bout des lèvres, accompagnée par le chant des oiseaux. Un peu lunatique, un peu mystique, la nature était son terrain de jeu et son refuge. Sa famille, notamment un oncle, ne supportait pas de la voir couverte de fleurs; Chaïbia était traitée de «gamine habitée» et souvent frappée. «Je m’enfuyais. Je m’évanouissais dans les meules de foin. Je crois que tu ne sais pas ce que c’est de t’enfouir dans une meule de foin alors qu’il pleut une pluie fraîche. Tu retrouves ça dans tous mes tableaux», dira-t-elle un jour à la sociologue Fatima Mernissi.
À sept ans, elle est arrachée à sa campagne pour rejoindre cet oncle brutal à Casablanca et devenir bonne à tout faire chez lui. À 13 ans, on la marie à un homme de 70 ans, sept épouses au compteur, mais dépourvu «d’héritier mâle».
Par Younes Messoudi
Lire la suite de l’article dans Zamane N°162