Et si on expliquait la question du Sahara à la communauté internationale en dehors des canons diplomatiques, du jargon onusien, des configurations coloniales et postcoloniales, du langage aseptisé de bureaucrates ou des formules alambiquées de diplomates ? Car, le Maroc n’a pas attendu un quelconque partage colonial pour exister. Il avait des relations diplomatiques et des échanges de toute sorte avec les nations de son pourtour et bien au-delà, et dans « l’Empire Fortuné », il y avait bel et bien un sentiment d’appartenance prégnant. Cela ne correspondait pas, à coup sûr, aux mêmes référents qu’en Occident et la notion de « nation marocaine », n’était conforme, ni à la conception objective de Fichte, ni à celle subjective de Renan. On ne parlait pas la même langue partout, on n’avait pas forcément les mêmes us, mais on n’avait pas moins le sentiment d’appartenance à un même ensemble, incarné par le sultan, vicaire de Dieu, mais aussi justicier sur terre. À lui venaient les éprouvés et lui-même se déplaçait quand « l’œuf de l’Islam », l’honneur, l’intégrité physique (nafs) et la terre sont menacés. Ainsi fit le sultan Hassan Ier qui s’est rendu par deux fois au Souss en poussant jusqu’au Sahara. Il a même soufflé aux caïds locaux, dont Birouk de la confédération des Tekna, la destruction de l’installation de Mackenzie, au Cap Juby, l’actuelle Tarfaya. Cela, la Cour Internationale de Justice, qui a rendu son arrêt le 16 octobre 1975, l’avait compris. Le droit des gens n’est pas forcément compatible avec les pratiques de contrées ayant d’autres référents culturels. Le Maroc est au Sahara pour qu’il conjure la malédiction qui l’a frappé en se voyant dépecé par un long et cynique jeu de compétition coloniale !
Prétendre à une uniformité culturelle serait faux. Ignorer les velléités révolutionnaires de jeunes sahraouis, qui seront savamment exploitées pour accoucher d’une réalité complexe, très complexe, où le juste le dispute au sordide, serait impertinent. Allez parler aux anciens du Polisario, et même aux actuels, loin des oreilles indiscrètes, ils vous diront cette vérité blessante : les Sahraouis sont instrumentalisés et font l’objet de grands enjeux qu’ils ne maîtrisent pas eux mêmes. Le reste, c’est de la littérature. De nobles desseins qui ont du mal à cacher les véritables mobiles et les expédients inavoués. Cela, les diplomates occidentaux le savent, ou sont censés le savoir. C’est dans le contexte d’une normalisation avec l’Algérie en 1988 que feu Hassan II avait reçu une délégation du Polisario à Marrakech en mars 1989. C’est dans ce contexte qu’il y a eu reprise d’un grand rêve, le grand Maghreb. C’est dans ce contexte que le Maroc a accepté le plan de règlement en 1991. Mais, les relations entre les deux pays n’ont pas retrouvé leur superbe. Le rêve maghrébin s’est étiolé comme une rose fanée et le plan de règlement fait du surplace. Il n’y aura pas de breakthrough tant que la tension manifeste ou latente persiste entre les deux pays, car l’état des relations entre les deux pays déteint sur le conflit, voire le détermine. Il serait malveillant de faire perdre le temps à de vaillants diplomates et autres observateurs mandatés par l’ONU. Le contexte n’est pas encore propice pour une solution négociée, « durable et pérenne », selon les expressions d’usage. Ils ont plutôt à faire là où on chasse l’homme. L’oisiveté de certains en a fait même des activistes, oubliant même l’obligation de réserve qui pèse sur eux. Ils n’ont pu, hélas, repousser les actes de barbarie, quand des voyous égorgeaient de sang-froid des forces de l’ordre désarmées et profanaient des corps mutilés. Le droit à la vie est le premier droit sacré des Droits de l’homme.
Je me suis essayé à un exercice de dialogue avec toute la palette des Sahraouis. Je m’étais rendu à un amer constat : il est vain ! Car, cela suppose des conditions propices en dehors de tout facteur de perturbation. Mieux, ou pire, la présence onusienne compromet la sécurité et la quiétude des habitants, car elle aiguise l’insolence des impénitents. Cela, je l’ai entendu de la bouche de plusieurs Sahraouis de souche. Notre rapport au Sahara est mythique. C’est dans ces contrées qu’a émergé Youssef Ibn Tachfine, le bâtisseur de Marrakech et le champion de la geste des Almoravides. Et depuis, des vagues humaines ne cessent de se greffer sur la souche humaine et culturelle dans la région septentrionale et inversement. Le père fondateur des Rguibat, Sidi Ahmed Rguibi, est descendant de Moulay Driss, et Sidi Ahmed Laroussi, qui a choisi les contrées de Smara pour y prêcher la bonne parole, est originaire de Sidi Rahal.
La terre parle au nom de tous les morts qui l’ont habitée. Non, nous ne sommes, ni des envahisseurs, ni des expansionnistes. Nous sommes chez nous au Sahara et ceux qui sont venus, lors de l’exode arabe du XIVe siècle sont chez eux. Il n’y a rien à céder, ni à partager. Nous devons, par un effort constant, trouver la formule pour vivre ensemble, dans la dignité et le respect de tous, dans cet espace qui s’appelle le Maroc, qui m’est plus qu’un espace géographique, plus qu’un legs historique, mais une idée.
Diplomates, n’avez-vous pas entendu les murmures de la terre, dans tout le Sahara, et pas seulement celui qui était appelé « le Sahara espagnol » ? Il faut savoir écouter les morts, sinon, ils reviennent avec fracas.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane