Dans la vieille médina de Casablanca se trouve un petit mausolée jouxtant l‘ancien consulat de Belgique. Il s’agit de Lalla Taja, Sainte que vénèrent les habitants de la ville. La tradition orale rapporte que cette vénérable femme s’occupait des enfants abandonnés. Elle leur donnait un abri et se démenait pour les habiller et les nourrir. Tout le monde la connaissait, l’histoire ne dit pas si on la respectait mais on la laissait tranquille. La vie de Lalla Taja allait un jour basculer quand le Consul de Belgique est venu élire domicile non loin de son quartier général. On ne sait si c’est par altruisme, très en vogue en Europe à l’époque, ou par amour de ces petits « indigènes » perdus sans toit, mais il est venu apporter son aide à la sainte femme. Une aide qui prend la forme de subventions comme le font de nos jours ce qu’on appelle les ONG qui s’arrachent les aides surtout auprès des chancelleries occidentales (de l’Amérique au Japon, en passant par l’Europe). Lalla Taja ne refusa pas la charité.
Mais là où la sainte femme ne voyait que soutien supplémentaire pour apporter le bonheur aux petits bambins, la foule, la «populace» y voyait des visées sexuelles du mécréant. C’est ce que dit l’histoire toujours. Nous ne savons pas non plus qu’elles étaient les visées du Consul belge surtout dans le Maroc de l’époque, alors sous les pressions et les convoitises étrangères.
On accusa Lalla Taja d’avoir été la maîtresse du chrétien, et on la lapida sur la place publique, là même où se tient son mausolée. Une autre version de l’histoire parle d’une simple mise en quarantaine, ce qui attrista profondément Lalla Taja et la fit rentrer dans une dépression profonde qui finit par l’emporter…
Très peu de temps après sa mort, on découvrit qu’elle était innocente, un sentiment de culpabilité profond regagna alors la foule et, en guise de pénitence, on lui dressa un mausolée. Depuis, les femmes viennent chaque jeudi ou vendredi pleurer leurs morts en présence de l’âme de la sainte femme. Une forme de pénitence en cours dans les pays du Maghreb. C’est toujours l’histoire orale qui est relatée ici.
L’enseignement tiré de cette anecdote est hautement instructif. L’histoire doit se situer vers la fin des années 1800. Un siècle et demi à peu près s’est écoulé et les Lalla Taja, victimes de leur sexe, continuent sans cesse à tomber sous le coup de la vindicte populaire. Dans ce genre d’affaire, c’est la foule qui fait la loi.
D’un coup, le sexe de cette femme était devenu une propriété collective. Les mâles de tous les âges revendiquent leur part de l’organe maudit, les femmes elles aussi se découvrent des penchants particuliers pour la morale et s’érigent en gardiennes de la vertu. Dans chaque quartier, village ou hameau, une femme seule, qui ne relève ni de l’autorité du père, de celle du frère ou du cousin, devient la propriété de la communauté. Comme on ne peut la partager, on la sacralise et on lui interdit tout rapport sexuel et surtout avec l’étranger. En fait, c’est son sexe qui devient une propriété de la communauté.
On surveille en général le vagin de la femme parce qu’il est le réceptacle du sperme. Le sperme fut et reste dans nos sociétés un capital dont la gestion revient au patriarcat. Peu importe si le problème est lié à l’héritage, et au fait que la femme peut subitement quitter la tribu et emporter une partie du bien collectif. Mais, autour de cela et à travers les siècles, on inventa, toute une théorie de la servitude de la femme afin de la pousser à abandonner elle-même son pouvoir sur son sexe ; à défendre elle-même le point de vue du patriarcat.
On l’affuble de ce titre combien lourd : l’honneur de la famille. Cet honneur est fervemment défendu par plusieurs femmes traditionnelles, traditionnalistes et surtout de la mouvance islamiste. Elles sont fières de trouver reconnaissance aux yeux des mâles de la communauté. Une femme qui s’abstient d’utiliser son sexe pour autre chose que les besoins strictement biologiques est élevée au rang de sainte.
Par Moulim El Aroussi