Majestueusement dressée sur les flots tumultueux de l’Atlantique, la grande mosquée Hassan II est aujourd’hui le monument incontournable de Casablanca. Pourtant, son élaboration a mis le Maroc sens dessus-dessous. Quels secrets se cachent derrière ce projet pharaonique ?
Impossible pour le roi Hassan II de quitter ce monde sans y laisser une trace digne de son règne. La grande mosquée qui porte son nom est tout à fait à son image. A la fois complexe, charismatique et capricieuse. Sa démesure ne réside pas seulement dans sa taille, qui en fait le troisième plus grand édifice du monde musulman. L’ambition du monarque s’étant heurtée dans ce cas à la sacralité des lieux saints d’Arabie Saoudite. Aux yeux des puristes de technologie, sa singularité repose surtout dans les prouesses d’ingénierie dont elle regorge. L’édification d’un tel monument sur les flots, avec toutes les complications que cela comporte, est saluée comme un exploit par l’ensemble des architectes reconnus. Il faut dire qu’à la fin des années 1980, la mosquée Hassan II doit son conception à des techniques pionnières, jamais expérimentées auparavant. Mais une mosquée n’est pas un édifice comme un autre. Sa fonction religieuse et spirituelle ajoute une charge symbolique qui transcende le monument, et qui écarte absolument la question de sa légitimité. Le message livré par Hassan II est également éminemment politique. A l’heure où les revendications sont d’ordre religieux, l’occasion est belle de couper l’herbe sous le pied des prêcheurs de la bonne foi. Amir El Mouminine (Commandeur des croyants) revêt à cette occasion son costume d’apparat. En parallèle, le rôle de catalyseur de modernité, cher à Hassan II, semble parfaitement concorder avec le projet d’un monument futuriste et grandiose. L’image du Maroc, perçu comme un pays musulman différent, au regard tourné vers l’Occident, s’en trouve renforcé. En somme, le monarque réussit un coup double en s’adressant à la fois à la frange conservatrice et à celle qui se veut moderniste. L’édification de la mosquée revêt néanmoins un caractère très personnel pour Hassan II. Sa sachant condamné par la maladie, il ne souhaite pas se contenter seulement d’un héritage politique. Il n’envisage pas non plus de prêter son nom à quelques grandes artères des centres urbains uniquement. Son ambition est de marquer l’Histoire et d’entretenir sa mémoire pour les siècles à venir. Mais a quel prix peut-il réaliser ses fantasmes ? Encore une fois, l’argent est le nerf de la guerre. Dans l’étude sur la mosquée Hassan II, le volet économique est certainement le plus opaque. Tous les comptes ne sont pas encore réglés. La faute à une situation budgétaire explosive, mise sous pression par le Fonds Monétaire International (FMI) qui tient à cette époque le Maroc comme une bête en cage. Toutefois, comme à son habitude, Hassan II fait surgir une solution inattendue de son chapeau magique. Tous les Marocains sont cordialement invités à participer financièrement à la construction de « leur » mosquée. Certains dénoncent un racket d’Etat. Enfin, un aspect d’une stratégie urbaine pour la ville de Casablanca passe encore inaperçu. Et si la mosquée Hassan II n’est que la première pierre d’un changement d’orientation géographique majeur de la capitale économique ? Décidément, ce monument porte bien son nom, celui de la complexité.
Par Sami Lakmahri
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