L’exposition actuellement en cours à la Maison Denise Masson à Marrakech est l’œuvre de l’artiste photographe Ahmed Ben Ismaël. Organisée dans le cadre du Mai de la photographie par l’Institut français de Marrakech, la Maison Denise Masson et la Maison de la photographie de Marrakech, cette exposition durera pendant une demi-année. Les Sept Saints, ou en d’autres termes les Sept Patrons de Marrakech, sont ceux qui, grâce à leur baraka (sainteté), préservent la ville de Marrakech des invasions ennemies, des catastrophes et des épidémies, selon les croyances populaires. Ils sont au nombre de sept, quadrillant la ville et servant de repères même pour les aveugles. Ahmed Ben Ismaël est né et a grandi à Marrakech, non loin du mausolée de l’un de ces sept saints, Sidi Slimane El Jazouli. Il avait déjà consacré un certain nombre de photos à ce saint, connu dans l’histoire du Maroc pour sa piété, mais aussi pour son rôle politique dans la stabilité de l’État. Ses photos avaient été publiées dans un livre accompagné d’un texte très instructif de l’écrivain marocain disparu, Edmond Amrane El Maleh.
Ben Ismaël ne photographie pas seulement les lieux saints, il capture également des personnalités qu’il rencontre, les sculptant et les magnifiant comme pour en faire des saints à vénérer. C’est cette même démarche qu’il poursuit dans cette exposition. En capturant ces images, c’est la ville de Marrakech dans sa dimension spirituelle qu’il met en lumière, une dimension souvent occultée ou travestie par l’engouement touristique. Les saints de la ville, ses ruelles ombragées et ses habitants modestes se dérobent aux regards indiscrets. On a l’impression qu’il existe un mur imperceptible séparant deux mondes : celui de la spiritualité (sacré) et le monde profane, où se déploient les regards voyeurs à la recherche d’anecdotes et de trouvailles exotiques. Le monde du sacré semble tomber dans l’oubli, mais en réalité, il se retire et se protège des regards impurs. Ahmed Ben Ismaël sort ce monde de son occultation grâce à sa démarche photographique.
Il le fait en s’attachant à observer chaque personne, chaque chose, et en attendant le temps nécessaire pour que le monde qui l’entoure apparaisse dans toute sa splendeur. Les rues, les gens, les murs, les métiers… Un regard tendre et amoureux émane de ses photos.
Elles montrent les gens chez eux, qu’ils soient dans les lieux de prière, à l’école ou au travail. La confiance émane des corps et laisse transparaître une paix indicible. Par ses photographies, l’artiste nous invite à habiter la ville, à en sentir la chaleur et la protection dans un monde où le sens de l’urbain est en train de nous quitter. L’urbain, semble nous dire ces photos, n’est pas seulement le bâti, ni les biens qui y sont accumulés, mais le lieu où terre et ciel se tissent un dialogue, où passé et futur s’interpellent.
C’est cela aussi le sens de la protection assurée par les Sept Saints de Marrakech : garantir la pérennité de l’urbain dans cette ville millénaire.
Par Moulim El Aroussi