L’ancien président de la République Tunisienne, Moncef Marzouki, est très touché par la disparition d’Abderrahmane Youssoufi. Il avait trouvé en lui un soutien indéfectible à l’heure où la répression de Zine el Abidine Ben Ali s’abattait sur lui. Il confie à Zamane le soin de publier un hommage intime…
«Depuis les années 1990, j’avais pris l’habitude chaque fois que j’allais au Maroc de lui rendre visite. Il me raconta un jour en riant qu’en 1994 il reçut à sa demande un émissaire de Ben Ali. L’homme était le patron d’un parti dit d’opposition en fait à la solde du dictateur. Pour contrer la vague de protestation qu’avait suscité mon emprisonnement par Ben Ali, il avait été chargé d’aller expliquer aux Marocains le bien fondé de mon incarcération.
Je me souviendrai toujours de son sourire malicieux de fin politique me racontant comment l’homme lui expliquait, le plus sérieusement du monde que j’étais un «malade mental». Mais il ne savait pas que Youssoufi et mon père étaient de vieux amis et qu’il me connaissait assez pour se gausser de ce laquais en mission impossible.
Je suis allé le revoir chez lui après qu’il ait quitté ses fonctions. Je lui ai posé une simple question : Comment évaluez-vous votre bilan ?
Il a souri, étendu son bras gauche, mis son pouce sur le creux de l’avant-bras comme s’il stoppait une hémorragie et me dit : J’ai essayé d’arrêter cette chose qui saignait le Maroc à blanc : la corruption.
C’est aux Marocains de toute obédience d’évaluer à sa juste valeur sa contribution à une transition démocratique et sociale.
Pour moi, Il est l’homme du Maghreb toujours en gestation, et de la démocratie encore balbutiante dans notre région.
D’une certaine façon je suis l’élève de Youssoufi. Il est avec Mandela et Gandhi celui qui m’a appris l’importance de cette qualité essentielle vers laquelle doit tendre tout homme et toute femme dans la vie et surtout en politique : La force tranquille.
Il était l’incarnation même de cette façon d’être que seuls les êtres les plus grands et les plus nobles peuvent assumer, en plus avec cette élégance subtile qui était son autre marque de fabrique».