S’il y a des ministères qui n’ont que peu ou pas toutes les faveurs du public, sous quelque ciel que ce soit, ce sont les Finances et l’Intérieur. L’un est le gardien du trésor public et l’ordonnateur de sa redistribution. L’autre est le garant de la sécurité des biens et des personnes, au nom d’une certaine idée de l’ordre public dont dépend le traitement réservé aux fauteurs de troubles en tous genres. C’est sur ce deuxième pôle du pouvoir exécutif que notre réflexion s’est concentrée dans un dossier dédié à la nature de ce département et aux profils de ceux qui en ont eu la charge. Avec, comme d’habitude, un regard rétrospectif qui accompagne toute une évolution et éclaire le présent.
Pour se dédouaner d’éventuelles mauvaises interprétations, disons que, dans l’absolu, ce ministère pas comme les autres est indispensable à un vivre-ensemble dans la paix et la sécurité. Il reflète, néanmoins, le degré de développement d’un modèle social en marche vers le meilleur; tout comme il met à découvert le retard qu’accuse la société vers un Etat de droit. Il semble que nous soyons, nous autres, dans une posture mixte entre ces deux catégories. à cette condition près qu’il n’y a pas de cité «idéale» au sens platonicien du terme.
Toujours est-il que lorsqu’on évoque le ministère de l’Intérieur, ce ne sont pas que des actes soft et des images d’Epinal qui viennent à l’esprit. L’intérieur suscite plutôt la crainte et l’inquiétude. Un réflexe conditionné qui perdure, malgré les doses de recadrage injectées ces deux dernières décennies.
Lors de l’avènement du nouveau règne en 1999, l’un des dossiers qu’il a fallu traiter en urgence, c’était précisément celui de ce ministère qui occupait l’espace public, sous différentes formes d’immixtion et d’action. Il fallait ramener ce ministère à sa vocation initiale, dans ses limites administratives, hors du champ politique. Sur le moment, ce projet semblait difficilement réalisable car, depuis l’indépendance, l’Intérieur avait profondément investi la vie politique du pays. Il en était même devenu l’ordonnateur en chef qui battait la mesure. Ahmed Réda Guédira, figure emblématique de cette époque, a été l’un des artisans de ce ministère excessivement politique. C’est pour cette raison qu’il a été nommé à la tête de ce département en 1961. Estimant avoir mis en place une machine électorale à toute épreuve, il fait un pas de côté en 1963 pour créer son propre parti, le FDIC, sous l’œil approbateur et tutélaire du Palais via l’Intérieur. Deux mois après sa fondation, le FDIC prend part aux premières élections législatives et réalise un score qui dément tous les dogmes des sciences politiques. Tout au long de sa vie politique, Reda Guédira aura été l’homme qui murmurait aux oreilles des urnes, devenues miraculeusement intelligentes. Guédira, conseiller du roi Hassan II, fera du ministère de l’Intérieur l’instrument opératoire pour façonner une carte politique du Maroc, complètement faussée, avec un certain Driss Basri comme coéquipier et ministre de l’Intérieur depuis 1979.
Le déboulonnage de ce dernier, un 9 novembre 1999, a été perçu comme un événement politique majeur et entendu. Est-ce pour autant que l’Intérieur a cessé tout interventionnisme, passif ou actif, dans les scrutins électoraux qu’a connus le pays depuis le départ de Driss Basri ? Les consultations électorales ont-elles gagné en régularité ? Le sentiment qui prévaut est celui d’un «oui» ni franc ni massif, avec des réserves provenant de l’intérieur même du gouvernement.
Ce département, qu’on a longtemps qualifié de «mère des ministères», a-t-il été vraiment redimensionné à ses justes proportions administratives, normalisé dans sa supervision de l’administration territoriale, humanisé dans son rapport aux droits de l’homme ? L’histoire du Maroc indépendant retiendra que dans les atteintes graves aux droits élémentaires des citoyens, le ministère de l’Intérieur est constamment mis à l’index sous différents personnages de service, du général Oufkir à son collègue de même grade Ahmed Dlimi, en passant par Driss Basri.
À quand un ministère de l’Intérieur soft ?
PAR YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION