Des amis m’ont demandé d’écrire un texte sur ma première relation avec le cinéma. Je voulais, avant de le rédiger, revenir sur les lieux, les revoir, m’en imprégner afin de savoir de quoi je parle. Je savais que les salles de cinéma au Maroc avaient été victimes d’un abandon total, mais je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait et que j’allais trouver sur place. Je savais qu’à El Jadida, là où j’avais eu mon premier contact avec le cinéma, il y avait trois salles : le Rif, le Paris-ciné et le cinéma Marhaba… On créa une autre salle, la Royale, spécialisée dans les films hindous de l’époque, de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Le Rif était très populaire, avec un ticket on pouvait voir deux films. Elle proposait un film en français et un film égyptien. Deux membres de la même famille pouvaient, avec un seul ticket, aller au cinéma. C’est ainsi, mon premier film était « Samson et Dalila », et à l’entr’acte j’ai passé le ticket à mon frère qui, lui, avait vu «Qaïs et Laila». Rentrés à la maison, chacun racontait son film et tout le monde en profitait.
Le billet pour accéder au cinéma le Paris était cher pour nous, la salle ne présentait qu’un seul film en français et nos professeurs européens la fréquentaient tous. Nous préférions alors ne pas les croiser. Quant à Marhaba, il se distinguait par des films assez soutenus et c’est dans ce cinéma que j’ai pu voir « Les mille et une mains » de Souhail Benbarka à sa sortie en 1972.
Dans les trois salles, j’ai appris à comprendre le monde. La dimension historique et mythologique dans les films comme « Samson et Dalila » et les films western, ou encore la violence dans les sociétés occidentales et notamment américaines dans « La loi du talion » de Robert Clouse, oumême la politique dans « Les mille et une mains » de Souhail Benbarka. De l’éthique, de l’esthétique et de la politique, cette même spécialité que j’allais étudier quelques années plus tard, au moment où j’ai préparé mon doctorat.
Aujourd’hui, dans ces lieux où j’ai grandi intellectuellement, et où beaucoup d’autres comme moi, de ma génération, ont construit leur personnalité, on propose une autre culture… Le cinéma le Rif est devenu « Kissaria du Rif »; celui de Paris, « galerie de Paris », et Marhaba « galerie Marhaba ». Dans la Kissaria du Rif, on propose toute une panoplie de produits venus directement d’Asie. Il y a des habits bon marché, des chapelets, des Corans sous tous les formats, et des prêches écrits ou sonores, des accessoires pour redresser la dentition ou des lentilles pour affubler les yeux de tout âge d’un bleu de stars de cinéma, un liquide rouge dans des petits sachets pour restaurer la virginité des jeunes filles qui s’apprêtent à vivre leur première nuit de noces, des produits de maquillage… Tout ceci dans une ambiance sonore que se disputent les chants liturgiques, les musiques bachiques des chikhates, les appels à la prière et la cacophonie des marchands qui crient à tue-tête pour vanter leur marchandise…
La galerie de Paris se spécialise dans le plastique : seaux, bassines, paniers, armoires, tabourets, babouches…et toutes sortes de produits et d’objets usuels pour la vie quotidienne des Marocains, tout en plastique. Quant à la galerie Marhaba, on y vend des produits moins bon marché que les deux premières, mais le commerce n’est pas son fort et elle s’est transformée en centre pour les professions libérales: médecins, avocats, notaires… Une population qui ne sait même pas à quoi avait servi ce lieu auparavant.
À y voir de prés, ces lieux n’ont pas changé de prédilection, il y a certes de l’esthétique, de l’éthique (de la religion). Quant au politique, il faudrait peut-être aller le chercher dans les murs, dans la vision lumineuse de celui qui, le premier jour, a décidé de détruire les salles de cinéma, de les reconstruire à la hâte, de les revendre en tant que fonds de commerce et de s’en aller vers d’autres horizons.
Là où on apprenait à réfléchir on y apprend, aujourd’hui, à côtoyer des sous-produits du Levant (l’Asie), dépourvus de valeurs esthétiques et éthiques.
Quelle destinée de l’art dans cette ville? De l’art au bazar, est-ce vraiment une évolution normale?
Quant à la mémoire, elle est tout simplement éclatée et effritée. w
Un titre qui résume tout ! Ou comment une société , bien que pour l’essentiel analphabète savait apprécier l’art à sa juste valeur , soixante ans plus tard à force d’abrutissement subi aussi bien à l’école que partout ailleurs est devenue une société sans repères , une société où la boulimie de la consommation l’emporte sur toute reflexion !
الغيورون على المدينة هم مثلك سيدي الَّمهُم ما آل إليه الوضع وهم بصدد إنشاء أكبر مركز ثقافي في المدينة وقاعات سينما بالمعايير العالمية و سيتم افتتاح هذه المعلمة الثقافية في الأشهر القليلة القادمة
فبشرى لساكنة المدينة