En regardant les journaux marocains, les sites électroniques surtout, je fus interpellé par l’information sur l’oeuvre de l’artiste franco-américaine Niki de Saint Phalle. Le musée Mohammed VI de Rabat vient de mettre à la disposition du public l’oeuvre magistrale de cette artiste hors du commun, «la machine à rêver». Il s’agit d’une artiste qui s’est construite grâce à sa lutte acharnée contre l’injustice. En fait, il s’agit d’un problème personnel que l’artiste a développé pour en extraire une lutte contre les injustices sous toutes les formes.
Niki, née en 1930 dans une famille aristocratique française et éduquée dans une institution religieuse, va rapidement se rebeller, refuser les conventions qu’on lui impose, se soulever contre les inégalités et les injustices, et rejeter la place de femme au foyer que lui prédestinait son milieu. Elle fait sa grande fugue à 18 ans, se marie selon son propre choix, fait des enfants, mais ses blessures allaient la rattraper à l’âge de 22 ans où elle ira en psychiatrie. Sa relation avec le monde est basée sur le conflit et la violence. Ses premières œuvres sous forme de performances consistaient en des gestes d’une très rare violence. Elle tirait des balles dans la peinture, qu’elle considérait comme sa victime qui se mettait à saigner. C’était en réalité sur la société et ses injustices, sur les hommes, sur son père ou son frère qu’elle tirait. C’était même parfois sur elle-même qu’elle s’imaginait tirer ; devenant ainsi sa propre victime.
Elle n’avait jamais étudié l’art auparavant, mais c’est grâce à sa rencontre avec l’artiste suisse Jean Tinguely, lui-même autodidacte, qu’elle s’est mise à la pratique artistique. Avec cet ingénieur de formation, devenu par la suite son mari, elle a appris à découvrir le chemin de la création. Il ne cessait de lui répéter que la technique n’était rien et qu’elle peut s’apprendre tant que l’idée et le génie sont là chez les artistes. Du coup, elle allait se trouver dans un mouvement d’art innovateur et précurseur de l’art contemporain au niveau mondial : le nouveau réalisme.
Mais quelle était donc l’origine de cette rage, le moteur de sa création ?
C’est ce qu’elle allait raconter dans une lettre à sa fille, Laura, en 1992. Là, elle explique que la petite fille qu’elle était dans une famille aristocratique. «L’été 1942. Mes parents avaient loué une jolie maison en bois blanc avec beaucoup de terrain autour. Dans notre maison, la morale était partout: écrasante comme une canicule. Ce même été, mon père (il avait 35 ans) glissa sa main dans ma culotte comme ces hommes infâmes dans les cinémas qui guettent les petites filles. J’avais 11 ans et j’avais l’air d’en avoir 13». Tous les hommes sont des voleurs, finira-t-elle par dire au bout de sa peine. Les féministes, femmes et hommes du Maroc, sont-ils au courant de la présence de cette oeuvre à Rabat ? Je ne le sais pas.
Dans des journaux marocains, j’ai lu qu’ils parlaient d’elle au masculin.
Une autre injustice !
Par Moulim El Aroussi