Lors de mes différentes visites des collections artistiques privées au Maroc, pour la réalisation d’ouvrages sur l’art, j’ai toujours été surpris par l’attitude des collectionneurs qui refusaient qu’on indique leurs noms dans les informations sur l’oeuvre. La quasi-totalité des collectionneurs privés répond par non. Hormis les institutions financières, industrielles ou étatique qui possèdent des collections, toutes les personnes physiques se refusent de déclarer leur collection. Un phénomène assez particulier ; car quand on a une collection qui dort loin des regards c’est comme si elle était ensevelie dans un cimetière. L’art est fait pour être vu et pour participer à l’élaboration de la culture du pays. Pour écrire l’histoire de l’art au Maroc on a besoin de signaler les œuvres, de diriger les chercheurs vers ces collections afin qu’ils comparent, analysent et insèrent les œuvres dans le processus de l’élaboration de l’histoire.
Si l’histoire n’intéresse pas ces collectionneurs et que leurs œuvres ont été acquises dans un but d’investissement là aussi ils se trompent car pour donner de la valeur à une œuvre il faut la montrer de temps à autre, il faut surtout la déclarer car elle fait partie du patrimoine culturel et historique du pays.
Heureusement que face à ce genre de positions improductives se trouvent, quoique rares, des mécènes qui, non seulement montrent les œuvres de leur collections, mais vont jusqu’à en offrir une partie aux institutions nationales chargées de proposer l’art marocain au public. Par leur geste, non seulement ils se libèrent du concept en cours dans notre pays, celui de Ihsan, charité, mais participent à la construction de l’identité culturelle et artistique du Maroc. Nous savons combien ce concept qu’on veut absolument rapprocher de celui de mécénat, permet la dilapidation de fonds qui pourraient participer à la construction de plusieurs secteurs du pays. On se lance dans une course effrénée à construire des lieux de culte, dans chaque coin de rue, dans les campagnes les plus reculées, alors que le pays souffre d’un manque horrible de salles de cours dans les écoles, de dispensaires pour les soins les plus élémentaires mais les plus urgents. Le mécène (mohsin) pense d’abord à s’assurer une place au paradis, et oublie les conditions déplorables dans lesquelles vivent ces mêmes croyants.
Le mécénat doit être désintéressé tout comme l’art. Nous en avons eu l’exemple le plus éclatant, la première semaine de juin 2021. Un marocain, dans la discrétion la plus totale, met à la disposition de la Fondation Nationale des Musées du Maroc un lot de 38 œuvres d’artistes marocains qu’il a récoltées pendant plusieurs années. Avec l’annonce de l’événement, on découvre qu’il s’agit de la même personne qui avait déjà mis 137 œuvres à la disposition de la même fondation pour démarrer le musée de Tanger, la Villa Harris. La fondation a finalement dévoilé son nom car les deux collections devaient porter le nom du donateur ; il s’agit de
El Khalil Belguench.
Par Moulim El Aroussi