La Biennale de Venise, bien que loin des préoccupations de la grande majorité des Marocains, a pu occuper, pendant un certain temps, des espaces importants dans la presse marocaine. De manière surprenante, ce sujet a également suscité l’intérêt d’une certaine presse française. Cependant, le débat n’était pas artistique, mais éthique. Il portait sur l’hésitation des autorités marocaines à désigner telle ou telle personne pour gérer la représentation du pays dans ce haut lieu de l’art mondial. Désigner un commissaire, le laisser travailler, puis décider, à la veille de l’événement, de le remplacer, témoigne d’une méconnaissance de la nature et de la mission d’un curateur.
Un commissaire d’exposition doit idéalement posséder une vaste connaissance dans plusieurs domaines, notamment la politique, l’histoire, la sociologie et la philosophie de l’art, car ces disciplines sont souvent intimement liées à la compréhension et à l’interprétation des œuvres d’art, ainsi qu’à la construction d’expositions qui résonnent avec le public.
L’art est souvent un miroir ou une critique des dynamiques politiques. De nombreuses œuvres contemporaines traitent des questions d’identité, de pouvoir, de colonialisme, d’injustice sociale et de droits humains. Un commissaire doit comprendre ces dynamiques pour contextualiser les œuvres dans des débats actuels ou historiques, et pour saisir comment les artistes utilisent leurs créations comme des actes de résistance ou des commentaires politiques. La politique plonge nécessairement ses racines dans l’histoire de notre pays, une histoire que nous avons quelque peu dégagé des visions coloniales, et non celle façonnée par le regard que le colonisateur a imposé sur notre passé. De son côté, la sociologie permet de comprendre les interactions entre l’art, la société et les structures sociales. Cela inclut l’étude des publics, des pratiques artistiques en tant que phénomènes sociaux, ainsi que des dynamiques de pouvoir et de classe dans le monde de l’art. Un commissaire doit être attentif aux contextes sociaux dans lesquels les œuvres sont produites et reçues. La philosophie de l’art permet au commissaire de développer une réflexion sur des questions esthétiques et conceptuelles. Comprendre la définition du beau, la représentation et l’art conceptuel aide à situer les œuvres dans un cadre philosophique plus large. Les commissaires qui maîtrisent la philosophie de l’art peuvent mieux articuler les problématiques soulevées par les œuvres contemporaines ou classiques.
Or, on a souvent l’impression, qu’au Maroc, le curateur est perçu comme un simple délégué accompagnant une cargaison de marchandises, cloué à son stand, souriant au public et se contentant de répéter les formules dictées par la critique européenne (souvent française de huitième zone) à propos de notre art. Comment quelqu’un qui ne maîtrise même pas l’une des principales langues dans laquelle sont produites les meilleures analyses de notre histoire pourrait-il défendre notre art ?
Ce n’est certainement pas ainsi que l’on répondra à l’appel des hautes autorités marocaines concernant la diplomatie parallèle.
Par Moulim El Aroussi