La transformation de la célèbre Sainte-Sophie (Aya Sophia, sagesse de Dieu) en mosquée, après avoir accueilli pendant plus de 90 ans des humains de tout le globe (3 millions de touristes par an), interpelle à plus d’un titre. Sa transformation en mosquée semble tordre le cou à l’histoire. Après avoir été un temple grec où on adressait des prières à plusieurs divinités, dont Apollon et Dionysos probablement, elle fut transformée en Basilique où seules les litanies chrétiennes étaient audibles. C’est dans ce lieu que l’on vit les plus grands débats sur l’image dans l’histoire. Il s’agit de ce qu’on appelle depuis bien longtemps «la Querelle byzantine» entre les iconophiles et les iconoclastes parmi les adeptes de Jésus le Nazaréen. Alors que les catholiques maintenaient que leur culte ne pouvait être complet sans les icônes de Jésus et sa «maman» Marie, les orthodoxes voyaient en cela une insolence envers le fils de Dieu et une manière de le rapprocher des foules qui finiront ainsi par lui manquer de respect.
Le même débat, et à la même date, secouait le monde de leurs ennemis musulmans. Chiites et sunnites guerroyaient à travers des textes théologiques entre ceux qui sont pour ou contre l’utilisation de l’image dans les lieux de culte. Si la Mosquée de Damas fut le lieu de ces débats théologiques, elle en garde la marque d’ailleurs ; deux mihrabs, niche de l’imam (l’un sunnite et l’autre chiite) pour la même prière adressée au même dieu.
Aussi bien à Constantinople qu’à Damas, Dieu n’avait rien à avoir dans cette histoire. Les débats étaient, des deux côtés, bel et bien politiques. Mais les politiques ont bien fait leur temps et les images sont restées. On les découvre aussi bien sur les parois de la Mosquée de Damas que sur celles de Aya Sophia.
L’histoire universelle de l’art considère la Sainte Sophie comme un moment important avant la Renaissance. Car avant d’arriver aux œuvres maîtresses de Léonard de Vinci, Raphaël ou Michel Ange, il a fallu aux artistes comme Giotto ou Cimabue, opérer une rupture avec cet art byzantin qui était devenu une tradition sclérosée. Mais pendant que les artistes étaient en train de s’émanciper de cet art, Aya Sophia était en train de devenir un lieu où l’on priait dieu d’une autre manière. Elle devenait Mosquée. La sagesse de dieu avançait dans l’histoire et changeait de maître sans renoncer à sa majesté.
Malgré ces péripéties, elle est restée ce lieu magique où l’on venait du monde entier étudier ce contact artistique entre l’Orient et l’Occident. Le célèbre Prost, bâtisseur de la modernité architecturale marocaine, avait effectué un séjour à Istanbul pour étudier la Sainte Sophie, d’où sa parfaite connaissance de l’art musulman.
Avec la révolution kamélienne, Atatürk avait une autre idée de la spiritualité. On ne pouvait se prosterner devant autre chose que les âmes des artistes. Il transforma alors le monument en Musée comme cela était fait après la révolution française pour plusieurs édifices.
Aujourd’hui, où l’on déclare et condamne partout les guerres de religions, on décide d’un geste très agressif, adressé à on-ne-sait-qui, de refaire de la «Sagesse Divine» une mosquée.
Est-ce vraiment sage de le faire ?
Par Moulim El Aroussi