Il n’y a pas mieux inscrit dans l’espace et le temps que la notion de beauté. Une vraie machine à reculons, dans le cas d’espèce, à travers le corps humain, avec de longues escales mais sans destination précise, puisque à chaque fois on est censé avoir atteint la perfection absolue. Et à chaque fois on repart de plus belle à la recherche d’un meilleur improbable.
Depuis la nuit des temps, cette quête ne s’est jamais donnée de répit. Toutes les civilisations qui se sont succédées sur le podium de l’histoire ont voulu marquer de leur empreinte le corps humain dans son paraître parfait, avec une préférence, combien compréhensible, pour la femme. L’expression préférée étant l’architecture, la sculpture et la peinture. Et c’est bien qu’il en soit ainsi, dès lors que des époques historiquement constituées, avaient des chefs d’œuvre sous le pinceau ou le marteau. La gamme est vaste, elle regroupe les dessins rupestres de la préhistoire ; les sculptures de la Grèce antique et pharaonique, les arts plastiques de la renaissance et leur continuation présente, fortement marquée par les temps modernes. On a eu à admirer le génie créateur, sur plusieurs siècles, comme Léonard De Vinci, Dali, Picasso, Monet ou beaucoup plus récent, Leoh Ming Pei, architecte sino-américain, rénovateur du Grand Louvre ; parmi tant d’autres sur le même registre et à différentes époques. Au final, y a-t-il mieux que l’art comme expression de la beauté et mode de narration, voire d’appréciation des faits et des époques historiques ! Il y aurait même de quoi faire des arts de toute beauté des outils de périodisation historique. La tentation par l’affirmatif est grande.
Le fil conducteur, constamment mis à jour, étant la recherche éperdue d’une beauté toujours synonyme de désir et de fantasmes, toujours inaccessible. On y adhère ou on refuse, sans jamais être indifférent ; à partir d’un principe de base pour qui la beauté est définie par des critères propres à chaque société. Le concept du beau d’extrême sud de l’hémisphère sud ne peut être mis en concurrence avec le même concept de l’extrême nord de l’hémisphère nord. Ce n’est pas tant la distance géographique qui les éloigne, mais les différences de cultures et surtout le regard porteur du beau qui n’est pas le même.
« Les canons de la beauté », selon l’expression consacrée, ne sont rien d’autre que les normes ayant cours à une certaine époque, à partir d’une ligne de démarcation entre ce qui est considéré comme beau et ce qui ne l’est pas. Sans remonter au déluge pharaonique du Nil et au nez retroussé de Nefertiti, ni à l’allure envoûtante d’une Cléopâtre qui a fait frémir l’empire romain, les modes ont toujours été plus volatiles que les beautés définitivement canonisées. Bien que réfractaire, sur la longue durée, à toute mise en boîte définitive, le beau reste une question de rapport de force où les plus puissants imposent leurs canons et donnent à croire qu’il s’agit d’un ordre esthétique universel. Une démarche qui n’est pas très loin de l’ethnicisme racial et de ses modes de fonctionnement aux antipodes des valeurs humanitaires les plus élémentaires.
Autres faits saillants, apparemment déterminants, autre rapport à la beauté. Les noirs américains, venus d’Afrique contre leur plein gré, dans le cadre du « commerce triangulaire » et de l’esclavage, ont été les premiers à comprendre qu’à l’époque moderne, la lutte contre le ségrégationnisme ethnique se passait aussi autour des thèmes comme l’esthétique et le concept de beauté. Les discours aidants de Martin Luther King, les noirs d’Amérique ont placardé sur les murs des villes et des campagnes des slogans tel « le noir est beau ». L’objectif est clair. Il s’agit de redonner confiance au peuple noir de tous les continents dans leurs cultures ainsi revues et revalorisées avant d’être transmises.
Autre exemple, au jour d’aujourd’hui, une nouvelle accoutumance vestimentaire court les rues. Ce sont les jeans volontairement troués qui font fureur parmi les jeunes. Une marque distinctive qui recoupe l’état actuel de la pyramide des âges. On n’est jeune qu’avec ce pantalon abîmé qui coûte plus cher que celui qui ne l’est pas. La jeunesse étant forcément synonyme de bel âge. Autre paradoxe des temps actuels.
Par Abdellatif Mansour, conseiller scientifique de Zamane