Depuis le 21 juin et jusqu’au 30 juillet se tient, au Centre National d’Art Moderne et Contemporain de Tétouan, l’exposition rétrospective de l’artiste Abdelkrim Ouazzani. Une exposition qui célèbre certes les formes, les couleurs, la force de l’expression, mais aussi la spontanéité du geste, la simplicité des propos et la joie de la couleur. Un monde fabuleux, fait de flore et de faune, d’objets récupérés et transformés d’un monde transfiguré tel qu’il l’était et le demeure dans nos imaginaires d’enfants et que nous tentons souvent de refouler. Abdelkrim Ouazzani ne pense et ne réfléchit rien au préalable, il dessine ses œuvres avant de les entamer, mais ses esquisses viennent au moment où il sent le besoin de les faire. Il tire le premier trait et tout arrive d’un coup. C’est la règle du jeu, on n’est jamais sûr du résultat, le hasard y est pour beaucoup, il travaille ailleurs peut-être dans l’inconscient. Mais Ouzzani a une philosophie et des soucis qui l’habitent ; quand il tire le premier trait, ses préoccupations quittent son imaginaire, se déploient sur le papier, s’imposent à lui et deviennent, au gré des grincement du crayon sur le support, des êtres qui lui parlent et lui expliquent la vie, le devenir, l’éternité et la mort. Non, ce n’est pas aussi sérieux que je le dis, Abdelkrim le raconte en rigolant : « En fait, je voulais créer une vache mais, comme j’ai maintenant un petit atelier, c’est la chèvre qui s’est imposée à moi ». C’est aussi simple que cela.
Comme dans le jeu des enfants, tout a une âme, tout parle, l’être dans sa totalité ; un téléphone, une bicyclette, des poissons désossés, une vache maigre, des oiseaux perdus, une trottinette, une fleur, tout est traité sur le même pied d’égalité. Aucune hiérarchie dans le monde des existants.
Mais tout ce monde est mis à l’épreuve de l’équilibre fragile. Il ne tient qu’à un point, il peut subitement basculer vers sa destruction totale. C’est en fait la philosophie sous-jacente de Abdelkrim Ouazzani, l’artiste et le citoyen. Il a une sensibilité à fleur de peau dans son contact avec la nature. Il ne l’exprime que trop peu quand il parle de son travail, mais dans ses mises en scène, dans son atelier, on voit toujours que la faune est effarée, elle crie ou elle se lamente au point où elle revêt des fois des aspects d’animaux préhistoriques terrifiés par les grands bouleversement de l’univers. On remarque des processions d’oiseaux qui quittent des lieux affectés par l’imprudence des humains et se dirigent vers des destinations incertaines…
Toute cette détresse est paradoxalement exprimée dans un chromatisme en apparence joyeux, les couleurs primaires dans leurs origines les plus fondamentales. Ce qui fait dire à certains que le travail de Abdelkrim Ouazzani se rapproche d’une démarche enfantine de jeu et de distraction. Que l’on sache que le jeu est occupation enfantine, certes, mais c’est surtout une démarche hautement élaborée pour interroger le monde et le reconstruire pour mieux y vivre ; c’est ce qui ressort du rire de l’artiste inséparable de son œuvre et qui en constitue même un élément fondamental.
Par Moulim El Aroussi
C’est vraiment lui sh’rif Abdelkrim Ouazzani.