Sa disparition le 25 septembre dernier à l’âge de 81 ans a suscité l’émotion au Maroc et même au-delà. Pour être au chevet des plus marginaux, Aïcha Ech-Chenna a du affronter une frange conservatrice de la société. Si elle a déjà plié, elle ne s’est en revanche jamais brisée…
« J’arrête, je jette l’éponge ». Au plus fort de l’affrontement entre partisans et pourfendeurs de la Moudawana au printemps 2000, Aïcha Ech-Chenna comprend que sa vie est en danger. Face à une telle menace et à la pression subie, elle décide, pour une fois, de ne penser qu’à elle. Avec le courage et l’humilité qui la caractérise, elle confesse en 2018 ce moment de faiblesse lors d’un témoignage vidéo pour le compte du collectif Her Story, qui raconte le parcours de militantes engagées dans le féminisme. Depuis le début des années 1980 et son implication totale en faveur des mères célibataires, de leurs enfants nés sans identité sociale et en général de tous les rebus de la société, Aïcha Ech-Chenna a elle-même bien failli sombrer. Dans ce même témoignage, elle raconte avoir séjourné dans un centre psychiatrique au début des années 1980 après son passage à la ligue de protection de l’enfance. Confrontée alors aux plus choquantes détresses sociales des mères célibataires, mais aussi à la pression des pères biologiques et de leurs familles, la militante admet être tombé dans une «grave dépression». C’est grâce notamment à son entourage et à la bienveillance du docteur Driss Moussaoui qu’Aïcha se remet sur pieds.En 1985, elle fonde l’association Solidarité Féminine et s’expose davantage.
L’année qui suit, Aïcha Ech-Chenna explique que lors d’une conférence de presse présentant l’association, le gouverneur de Casablanca a sciemment menti en gratifiant Solidarité Féminine du patronage de la princesse Lalla Fatima Zohra. Surprise, la fondatrice de l’association demande des explications au Wali qui lui rétorque que c’est pour garantir «sa sécurité». Ech-Chenna précise qu’elle ne «comprend que plus tard» qu’une partie de la population marocaine est hostile à ses combats en faveur des mères célibataires. Dans les années 1990, sa popularité grandit en même temps que l’islamisme politique, dont l’idéologie sociale est frontalement opposée à celle de l’auteure de Miseria, (1996) livre référence qui expose sans tabous la cruauté des drames sociaux. Le choc des idéologies atteint donc son paroxysme au début des années 2000 à l’occasion de la réforme du code de la famille. Impliquée, Aïcha Ech-Chenna admet avoir «mis la pression» pour faire figurer les droits des femmes célibataires dans le plan d’action gouvernemental en vue de la moudawana. C’est aussi l’époque où la militante est ultra médiatisée «y compris sur les antennes de la chaîne Al Jazeera». Elle explique sur la télévision du Qatar que son père «théologien d’Al Qaraouiine aimait à rappeler qu’il n’existe pas d’enfants du péché et qu’un enfant est toujours le fruit d’une union qu’elle soit légitime ou pas». Ce faisant, le combat et le visage d’Aïcha Ech-Chenna sont connus. Les menaces de mort se font de plus précises au point de lui faire dire: «j’arrête, je jette l’éponge». Mais comme à l’accoutumée, sa force de caractère et son entourage précieux l’ont remise en selle. Ses lumières ne s’éteignent finalement qu’avec sa mort.