«Avance oh Sire !» (zid Al Malik zid), est la chanson que lança sur Youtube, il y a moins d’un mois, le groupe des ‘Aouniyate, chanteuses populaires connues surtout dans la région de Sidi Bennour. L’accueil que fit le public à cette chanson incite à s’interroger sur la teneur de son message. Les chanteuses s’adressent directement au souverain marocain, l’incitant à avancer dans son action en lui suggérant même quelques recettes de réformes. Plusieurs vidéos de la chanson circulent dans les réseaux sociaux, où elles ont atteint quelques millions de vues. Un vrai phénomène. Comment des chikhates osent-elles s’adresser directement au souverain et, qui plus est, par une chanson ? Elles présentent certes des doléances, comme il est de tradition dans les chansons populaires mais, ce qui est étonnant dans ce cas précis, c’est qu’elles dressent une liste de recommandations à l’attention du roi. Est-ce un phénomène nouveau ? Certes non car, dans les années 1970, un duo célèbre (Kerzouz et Mahrach), genre de troubadour marocain, croyant bien faire, avait inclus dans une chanson un vers, rien qu’un petit vers, à l’adresse de Hassan II. Le texte disait à peu près ceci : «Notre roi bienveillant a laissé pousser la rouflaquette (les pattes) jusqu’aux oreilles et a augmenté le pain de sucre de 40 rials (deux dirhams) ». Le duo fut apparemment accueilli par la police politique marocaine, qui l’interrogea selon ses méthodes bien connues.
On ne sait pas encore ce qui s’est passé ou se passera pour les ‘Aouniyate et quelles récompenses recevront-elles après ce chef-d’œuvre ? La chanson débute par le traditionnel « Vive le roi », avant de reprendre un répertoire de la lutte pour l’indépendance, surtout le genre du maître Bouchaïb El Bidaoui. Après ce prélude, l’on parle de l’éradication du terrorisme («Unissons-nous les amis pour enrayer le terrorisme») et même de Daech. Viennent par la suite les conseils adressés au roi : «Dégage les vieux et remplace-les par les jeunes, Je ne cherche pas à être décorée je veux vivre en paix». Mais, par ailleurs, elles demandent à ceux d’en haut (on ne sait pas s’il s’agit du roi ou d’une autre instance, le gouvernement peut-être) : «Je veux que mes enfants demeurent auprès de moi», allusion faite aux problèmes de l’immigration clandestine. Mis à part ces deux ou trois vers, la chanson tire son contenu surtout du registre de la ‘Aita du temps de la lutte armée contre l’occupation et même celui d’avant, à l’époque des grands Caïds.
Une chanson qui s’inscrit tranquillement dans le sillage de la ‘Aita traditionnelle ; mais, ce qui est curieux, c’est que la grande majorité des médias, réseaux sociaux compris, y ont trouvé un terreau de fantasme politique, exactement comme le faisait la gauche dans les années 1970 avec la mouvance de Nass El Ghiwane et Jil Jilala.
Tout le texte a été détourné pour qu’il s’accorde avec la situation actuelle du Maroc; le fantasme fait dire aux artistes ce que l’on ne peut pas dire soi-même… Est-ce le symptôme d’un blocage politico-social?