Les Lions de l’Atlas vont écrire une cinquième page d’histoire en Russie. Il faut espérer qu’elle soit la plus belle. Il faut y croire aussi. La sagesse populaire dit que tant qu’une histoire n’est pas écrite, il faut imaginer qu’elle sera la plus belle. Le rêve est permis. Une Coupe du Monde, ce n’est pas que du football. Les nations qui ont la chance d’y participer le savent. Nous parlons de l’événement le plus connu, couru, suivi, au monde. Avec les Jeux Olympiques bien sûr. C’est un lieu d’exposition extraordinaire. Toutes les nations veulent y être. Et gagner, gagner. Avec un Mondial réussi, un pays écrit sa propre légende. Qui vient s’ajouter à ce livre d’or qui s’appelle le récit national.
Si l’Amérique reste le pays du cinéma et du jazz, le Brésil est le pays du foot. La légende de la Coupe du Monde (le Brésil en a gagné cinq, un record) a beaucoup fait pour le pays carioca. Pelé ou Ronaldo, dont les noms restent associés à ces cinq triomphes mondiaux, sont aujourd’hui les Brésiliens les plus connus dans le monde. Seules les stars de la samba et de la bossa nova rivalisent en matière de popularité. Ce sont des demi-dieux, des ambassadeurs dont le nom fera rêver les mômes du monde entier dans dix, vingt, cent ans.
Prenez l’Allemagne. Anéantie par la Deuxième guerre mondiale, la patrie de Goethe et de Brecht a fait du football et de la Coupe du Monde (quatre victoires) des axes majeurs qui lui ont permis de se reconstruire. Autant que l’industrie lourde ou la culture, dans lesquelles ce pays extraordinaire n’a pas attendu le XXème siècle pour briller et se développer. Les plus belles choses que l’on dit de ce pays et de ses hommes (leur mentalité de gagneurs qui ne renoncent jamais) viennent directement de la légende de la Coupe du Monde. Qui a effacé ou presque les horreurs de la guerre. Le mythe de l’Allemand ou de l’Aryen fort et indestructible, ce n’est pas la machine de guerre et de propagande stupide du nazisme qui l’a inventé. C’est le football et c’est la Coupe du Monde. Le Maroc a aussi ses légendes. La plus grande, Haj Larbi Ben Barek, n’a jamais joué un Mondial. C’est une injustice. Le grand Larbi a explosé à une époque, celle de la guerre, où le Mondial n’existait plus (1938-1950).
Comparée à celle des grandes nations, la légende du Maroc au Mondial paraît légère. Mais elle n’est pas négligeable. En tenant longtemps tête à la grande Allemagne (1970), à l’Angleterre et à la Pologne (1986), en battant le Portugal (1986) et l’Ecosse (1998) qui étaient pourtant largement supérieurs, le football a apporté quelque chose au récit national : appelons cela la foi, la solidarité, la capacité de se transcender pour battre plus fort que soi.
Avec le football, ces slogans sont devenus réalité. Le Mondial 1986, où le Maroc a passé le premier tour, a fait un bien fou…à la psychologie marocaine. Ça reste du jeu, mais le jeu véhicule des valeurs. Cela s’appelle le poids de l’histoire. C’est lourd à porter. Mais c’est comme cela, et pas autrement, que les hommes et, à un niveau supérieur et plus transversal, les nations et les peuples se révèlent. Cette équipe qui représentera le Maroc en Russie dit beaucoup de choses de notre société d’aujourd’hui. Elle est mixte, métissée, ouverte. Elle ressemble à la jeunesse marocaine du XXIème siècle. Elle peut la porter et révéler ce qu’il y a de meilleur dans cette jeunesse. C’est surtout une jeunesse qui veut gagner. Nous vivons une époque dans laquelle les complexes d’infériorité s’envolent les uns après les autres. Cela nivelle les chances, les possibilités, les forces. En 1998, par exemple, les Lions de l’Atlas se sont contentés de regarder les stars brésiliennes (0-3). En 2018, ils ne feront pas la même erreur face aux stars espagnoles ou portugaises. Qu’ils admirent mais qu’ils vont chercher à battre. C’est cela qui a changé. Et c’est tant mieux. Bon vent aux Lions qui nous enverront, dans quelques jours, de bons baisers de Russie.
Par Karim Boukhari, Directeur de la rédaction