La banque de l’État (Bank Al Maghrib) s’apprête à organiser une grande exposition en hommage à l’artiste marocain Abbès Saladi. Après un premier hommage rendu déjà en 1993 toujours par une banque, l’ancienne Wafabank avant son jumelage avec la BCM, voilà Saladi qui revient comme pour regarder le monde de l’Art et lui dire : «J’ai vécu fauché et voilà mon oeuvre qui côtoie des coffres plein à craquer de thune».
Faut-il que les artistes meurent pour qu’on s’occupe d’eux ? Des bruits courent sur les prix astronomiques atteints, dans la discrétion des marchands, par des œuvres de feu Mohamed Melehi. Melehi vendait bien, mais les prix dont on parle étaient inimaginables du vivant de l’artiste.
Saladi a vécu dans la nécessité la plus absolue. Comme beaucoup d’artistes, aujourd’hui même, qu’on continue à maintenir dans le doute par rapport à leur talents en tenant à les garder en dessous de leur valeur marchande. Juste après leur mort, ils deviennent subitement de très grands artistes. Vang Gogh en est peut-être l’exemple le plus éclatant dans l’histoire de l’art, mais nous avons déjà évoqué, ici même sur Zamane, le cas de Modigliani et les machinations du célèbre marchand d’art Morel. Le Maroc a eu aussi ces artistes maudits qui, une fois morts, sont devenus des saints. Jilali Gharbaoui qui, selon ses amis, n’avaient des fois «même pas de quoi se payer une bière», doit voir, là où il est à présent, ses œuvres atteindre des prix indécents… Cette situation doit nous faire réfléchir. Qu’est-ce qui fait qu’une oeuvre prend de la valeur après la disparition de son auteur, et non pas de son vivant ?
S’agit-il d’un problème d’évaluation, d’esthétique ou tout simplement de commerce ? Pourquoi se met-on à célébrer un artiste, un musicien, un écrivain, un cinéaste, uniquement après sa mort ? Nous ne cessons de célébrer des artistes pour des raisons souvent pas artistiques. J’ai déjà, dans le portrait Gharbaoui (Zamane N° 118), parlé de l’une des raisons de la célébration de cet artiste qui aurait pu rester dans l’oubli comme beaucoup d’autres. Des jeunes, des moins jeunes, des artistes femmes ou hommes, sont oubliés pendant leur vivant et il faut qu’une institution ou une autorité quelconque soit en possession d’un certain nombre de leurs œuvres, pour que la machine de la réactualisation se mette en marche. L’exemple d’Amine Demnati est ici parlant ; il a fallu, il y a deux ans, que son frère fournisse un effort incroyable et dépense de l’argent pour imprimer un livre, faire intervenir des noms de la presse et de la littérature pour qu’on se souvienne que cet artiste a pu exister un jour sur cette terre.
Quand abandonnera-t-on, dans notre pays, cette tradition qui considère que l’artiste doit vivre maudit et que son oeuvre ne prenne de la valeur qu’après sa mort ?
Ceci ne dépend certainement pas d’une loi, mais juste de la décence.
Par Moulim El Aroussi