Ce qui a fondé la modernité, c’est bien la séparation des espaces : les lieux de culte séparés de la politique et les deux de l’académie (la science). Ni le politique, ni le religieux n’avaient droit sur le laboratoire et ses recherches. Les domaines des idées, des croyances, des émotions, des opinions ne devaient interférer avec la science. C’est ainsi que la science a pu remettre en cause le système solaire et la hiérarchie céleste sans être inquiétée par l’Église.
Les scientifiques, les philosophes ont sans cesse déployé des efforts pour traquer les idées inconscientes des savants et qui pouvaient entacher leurs démarches, leurs théories et les résultats de leurs recherches. On a même mis en place une science, ou une philosophie selon les goûts, qui ne s’occupe que des démarches et des comportements des scientifiques, l’épistémologie, qu’on pourrait traduire, un peu grossièrement, par la science de la science.
On le sait, les croyances et les convictions des scientifiques ont la magie de glisser subtilement entre les mots, à travers la construction des hypothèses, voire même l’élaboration des expérimentations pour retrouver leur statut et leur droit de cité dans la logique de la science. La seule vigilance du scientifique n’est pas suffisante pour dévoiler ce genre d’intrusion. C’est pour cela que tout le travail de la cohorte des savants est de soumettre, inlassablement, les résultats de leurs confrères à des expérimentations rudes et rigoureuses afin de débusquer ce qui est de l’ordre des croyances et qui ne peut être considéré comme science.
Mais si l’adoption inconsciente des croyances par les savants peut être excusée, car non volontaire, que dire des scènes auxquelles nous assistons aujourd’hui ? Des savants qui s’efforcent de trouver les arguments, soi-disant scientifiques pures, afin de décrédibiliser un confrère qui soutient un point de vue médical contre l’hégémonie du commerce du médicament ? Les débats purement sophistes entre les savants ont donné lieu à des débordements politiques aberrants. Le résultat est que la politique a pris la liberté d’intervenir, sans se voiler la face, dans les conclusions de la science. Trump était génial, il avait décidé de contredire les scientifiques et de proposer des solutions et des modes de médication de sa propre invention.
Le Brésilien Jair Bolsonaro a émis de son côté plusieurs fatwas scientifiques, en affirmant que tel vaccin transformerait les humains en singes, tel autre réduirait le volume des verges des hommes ou donnerait des barbes aux femmes. On pourrait considérer que Trump et Bolsonaro comme faisant partie de la grande foule ignorante, mais quand cela vient de certains scientifiques eux-mêmes cela devient grave.
Au Maroc nous n’avons malheureusement pas échappé à ce phénomène. Des personnalités scientifiques, opposées à la politique de l’état se sont efforcé, selon le principe que le Makhzen doit absolument avoir tort, de tisser des récits, souvent loin de la démarche scientifique, pour ne prouver en définitive que la véracité de leurs thèses idéologiques. Or, il est souvent difficile, voire impossible, de donner un avis scientifique quand on est en même temps en position politique. C’est pour cela qu’il est recommandé, quand on est responsable politique, de s’écarter de la science pendant l’exercice de la gestion des affaires et des conflits d’idées ; car il est extrêmement difficile d’allier les deux avec succès. C’est peut-être pour cela que la majorité des constitutions démocratiques mettent des garde-fous contre l’immiscion du politique et du religieux (le domaine des croyances) dans les affaires des laboratoires et de la recherche académique.
Mais il semble que notre ère est celle de l’intervention directe dans la recherche. On croyait que cela était possible uniquement dans les sciences humaines, on découvre avec stupéfaction que la gangrène a gagné aussi le domaine de ce qu’on appelait depuis longtemps les sciences pures.
Pourquoi s’étonner alors de voir un théologien prescrire des soins pour le Coronavirus et peut-être même contre des maladies jusqu’ici incurables ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane