En 1799, Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher, un théologien allemand, écrit dans son livre «De la religion», ceci : «La religion et l’art se côtoient comme deux âmes amies qui n’ont pas encore connaissance de leur parenté intérieure bien qu’elles en aient le même pressentiment». Ce livre écrit dix ans après la révolution française venait juste donner l’avis de l’Église sur des idées qui, déjà, prenaient place dans les sociétés intellectuelles et artistiques de l’Europe et surtout de l’Allemagne.
Le romantisme allemand, surtout dans les domaines de la musique et de la littérature, avait déjà commencé dans ce pays en 1770. En abandonnant les idées (ou les sentiments) religieux, les artistes qui interrogeaient leurs âmes avaient découvert la parenté de la religion et de l’art.
Effectivement, si l’on met de côté les gravures rupestres sur lesquelles nous n’avons encore aucun travail solide quant à leurs fonctions et destinées, les cérémonies, par contre, nous renseignent beaucoup sur cette relation. L’Asie, l’Afrique et l’Amérique Latine ont pu conserver des manifestations cultuelles qui nous sont d’une grande utilité. Les cérémonies qui sont montrées aujourd’hui dans plusieurs festivals à travers le monde, nous montrent comment nos ancêtres faisaient usage de leur génie artistique pour célébrer les divinités de leur époque. Des danses, des masques, des coiffures, des parures, étaient nécessaires à cet effet. Des survivances de ce genre existent au Maroc chez les confréries, Aïssaoua, gnawa…et bien d’autres.
On ne peut dire que la religion et l’art sont nés l’un après l’autre. L’art est l’enveloppe de la religion, la manifestation sensible de la spiritualité. L’humanité qui a toujours eu un rapport compliqué avec les invisibles les a toujours séduits par des cérémoniaux.
Si les religions paganiques observaient ces moments de dévotion avec beaucoup de scrupules et engageaient les corps par la musique et la danse, les religions monothéistes ont, par contre, banni la manifestation du corps. Elles ont gardé juste quelques traces des pratiques artistiques en les moulant dans des gestes répétitifs et appauvris.
Le cérémonial chrétien est certes le plus complexe, mais ceux des juifs et des musulmans le sont moins. Toutefois, elles gardent toutes les trois le chant, les mouvements des corps, les apparences extérieures mais dépouillés de toutes allusions érotiques. Ainsi dans les cérémoniaux, le bannissement du corps semble être une marque spécifique du monothéisme.
Serait-ce pour cela que les théologiens musulmans rigoristes reviennent chaque année surtout au Maroc, particulièrement pendant le mois sacré, sur le débat de l’art et son opposition au culte musulman? Ils s’opposent à tout ce qui interpelle les sens et les met en situation d’aller vers le plaisir. Le chant, la musique, l’image (le cinéma, la sculpture, la photographie…), la danse…
Quand est-ce que nos théologiens vont-ils comprendre que «la religion et l’art se côtoient comme deux âmes amies» ?
Par Moulim El Aroussi