Le mal dont souffre le Maroc contemporain est bien l’absence de civisme. Cela n’est plus un secret, mais la gestion de la pandémie l’a fait ressortir d’une manière encore plus flagrante. C’est quoi le civisme en fait ? Il est le respect du citoyen (celui qui vit dans la cité) pour la collectivité avec laquelle il partage le même espace de vie. Civisme, trouve son origine dans le mot latin civis, qui, à «l’origine qualifiait l’ensemble des personnes dormant sous un même toit». Il s’agit ici d’avoir des égards à l’adresse des personnes avec qui on vit.
Le pays, la ville ou la patrie serait donc tel un toit ou une immense demeure qui réunit en son sein les citoyens. Tels citoyens qui, sous leur toit commun, partagent heurs et malheurs, parlent les mêmes langues, du corps, de l’esprit mais surtout établissent un contrat selon lequel il gèrent leur vivre ensemble dans leur foyer commun : la cité. On choisit de son plein gré d’habiter une ville, un quartier, une maison, on l’arrange pour que, y vivre soit un plaisir, sans oublier la grande demeure, l’habitation commune.
On habite une ville comme on habite une maison, donc. Habiter c’est être à l’intérieur de sa demeure, mais habiter une ville (cité), c’est être avec les autres. Être ne peut se concevoir sans les autres : on rit, on pleure, on danse, on s’énerve, on échange avec les autres ; on se reconnaît dans les autres ; les autres nous attirent, nous repoussent, s’opposent à nous, on s’entend ou on rentre en conflit avec eux…
Mais dans la cité, on établit des règles qui gèrent notre vivre ensemble dans la ville. On invente des lois qui nous protègent. C’est cela être citoyen : «Le citoyen, c’est celui qui participe de son plein gré à la vie de la cité. Il partage avec ses concitoyens le pouvoir de faire la loi, le pouvoir d’élire et le cas échéant, d’être élu. Si tu fais la loi, il est normal que tu lui obéisses» (Régis Debray).
Mais où trouver un si bon citoyen ? Les citoyens, c’est vous, c’est moi, ce sont des êtres humains qui habitent ensemble une ville ; la somme des villes est un pays, une patrie, un peuple. Or suffit-il d’habiter une ville pour être citoyen ? Non, la citoyenneté s’apprend et se pratique. Quoiqu’ancien, le concept de citoyen, dont je parle ici, n’a pris le sens que nous utilisons aujourd’hui, que dans les sociétés modernes et dans les démocraties contemporaines. Des sociétés où, initialement, le peuple décide de la manière dont il veut qu’il soit gouverné et dont ses affaires doivent être gérées. Par le vote, il délègue à des exécutants de mettre en pratique cette politique.
Pourquoi alors nos villes, où on nous dit qu’on vote et qu’on participe activement aux élections semble-t-il, souffrent-elles d’un manque désolant de civisme ? Pourquoi, quand les élus et l’autorité chargée d’appliquer la loi que le citoyen a mise en place, appellent à un respect de cette même loi, le civisme n’est pas au rendez-vous ? La logique fait défaut. Pourquoi les habitants de nos villes (je n’ose plus les appeler citoyens), choisissent ce moment précis pour ignorer les lois ? La citoyenneté ne se définit-elle pas par la participation à la vie de la cité, dont le respect de la loi ? Les habitants de nos villes ne sont pas hors-la-loi, ils ignorent les lois.
Si on administre bien des leçons d’éducation civique truffées de morale aux enfants dans nos écoles, la réalité vécue détruit toutes les théories. Les habitants des villes et des campagnes voient bien que tout ce que leur promettent les hommes politiques pendant les folkloriques campagnes électorales, s’évapore aussitôt le conseil communal ou le parlement conquis. Ils ne se sentent nullement concernés par les lois. Ils les subissent comme des contraintes et des corvées qu’ils observent tant que l’autorité est là.
Du coup, on croit que le Marocain continue à alimenter inconsciemment la mentalité de la Siba face à l’arsenal des lois modernes. Même des agents d’autorité chargés d’appliquer les lois, le font sans grande conviction.
Par Moulim El Aroussi
Conseiller scientifique de Zamane