Dans son livre, «Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes», Jean Jacques Rousseau affirme que la seule inégalité que l’être humain hérite est son côté naturel. Dans l’introduction, Rousseau distingue deux sortes d’inégalités : les inégalités naturelles et les inégalités « morales ou politiques », c’est-à-dire les privilèges établis par des conventions et il écarte d’emblée la thèse selon laquelle les secondes découleraient des premières car les riches et les puissants ne sont pas nécessairement les plus forts ou les meilleurs.
De ce point de vue l’inégalité parmi les humains serait née le jour où l’on a installé le gouvernement de l’homme par l’homme et qu’on s’est attribué un certain nombre de privilèges par le fait de la domination d’autrui. Mais il eut fallu définir cet autre : est-ce le voisin, l’enfant, la femme, ou l’étranger cet inconnu qui hante l’imaginaire et menace notre existence et nos avoirs ? Dans le but de le neutraliser, il fallait le soumettre et le mettre au service de soi. C’est le fond de la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel.
Mais l’histoire avance et avec elle les aberrations des êtres humains. Quand l’Europe a dominé l’Afrique et l’a transformée en un énorme réservoir de force de travail, il a bien fallu légitimer le traitement des êtres humains de la sorte. Le génie français, sous le règne de Louis XIV avait trouvé la formule adéquate ; le Code noir. Il est alors rédigé en 1685 par Colbert, secrétaire d’État à la Marine et principal ministre du roi depuis 20 ans. Ce texte définit un cadre légal clair de pratiques déjà en vigueur dans les possessions françaises outre-Atlantique. Il octroie à l’esclave un statut intermédiaire entre celui d’homme libre et de bien meuble pouvant être acheté ou vendu. En tant que tel, il constitue l’acte fondateur du droit colonial français. Le Code noir continuera d’être appliqué jusqu’à la seconde abolition de l’esclavage sous la Deuxième République, en 1848.
Mais si ce code a été aboli, les imaginaires qu’il a façonnés n’ont pas trop bougé. L’on retient que, à la date de l’abolition de l’esclavage, la France était bien engagée à occuper des pays arabes. L’Algérie était déjà sous tutelle mais le Maroc et la Tunisie étaient mis sous pression. La quantité de documents iconographiques produits à cette époque montraient la majorité des Nords africains avec des traits négroïdes et les rapprochaient de l’image qu’avait l’européen de l’esclave.
Des théories de psychiatres et de chercheurs en anthropologie affirmaient qu’au niveau intellectuel un africain était bien inférieur à l’Européen. L’Africain était présenté comme un être gouverné par ses émotions et ses instincts et qu’il lui était impossible de faire fonctionner son esprit. Nul besoin de montrer ici que ce genre de discours s’applique aussi à l’animal.
Cette théorie qui hiérarchise les humains et place une partie des habitants du globe dans une catégorie moins que le reste du monde a bien été ancrée dans les esprits des colonisés. Par le fait de l’école, par le matraquage médiatique, les colonisés ont fini par accepter leur statut d’inférieur. À l’aube des indépendances des intellectuels des pays anciennement colonisés ont fourni de grands efforts pour décoloniser les esprits et extirper le sentiment de dominé que leurs concitoyens avaient assimilé et accepté. On cite souvent Frantz Fanon à ce propos mais d’autres chacun dans son domaine et sa spécialité ont essayé de libérer les esprits et les corps.
Mais plusieurs décennies après nous nous sommes rendus compte que le travail des intellectuels et des penseurs n’a eu aucun effet sur les populations ni sur les élites. Le Président d’un pays africain en personne, il s’agit du Président de la République tunisienne, le pays d’Abou Al Kacem Chebbi, retrouve son réflexe d’ancien colonisé, oublie qu’il est africain et ameute sa population contre les africains noirs.
Oublie-t-il que son pays a un siège au sein de l’Union Africaine ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane