Juin 1936. L’an 24 du Protectorat est bien l’an 1 de la prise de conscience des ouvriers marocains. Ils se regardent dans le miroir de la société et se disent qu’ils existent en tant que classe sociale. Comment le travailleur lambda réaliste-t-il son existence sociétale ? Pourquoi le mouvement prolétaire prend-il forme au milieu des années trente ? Autant de questions et d’«énigmes» que Zamane a tenté d’élucider pour vous.
De 1912 à 1956, le destin de la France et de l’Empire chérifien sont liés. Il s’agit là presque d’une lapalissade. Qu’à cela ne tienne. Dans cet intervalle de temps, l’histoire des deux pays s’écrit à quatre mains. Pour résumer, reformulons la locution du chancelier Metternich à notre propre vinaigrette : «Quand Paris éternue, l’Empire chérifien s’enrhume». Dit autrement, tout événement politique intérieur en France a des effets immédiats au Maroc. Et vice-versa. «Dans la mémoire collective, les grèves du Front populaire occupent la place exceptionnelle d’un événement fondateur ; elles marquent à la fois l’accès à la dignité de ce que l’on peut nommer, alors, la classe ouvrière, l’affirmation de sa force et l’entrée dans une forme de modernité sociale», commente l’historien Antoine Prost dans la revue «Le Mouvement social» (2024). Effet de miroir dans l’Empire chérifien. Les ouvriers marocains semblent également sauter le pas et se conscientiser. Pourtant, le prolétaire marocain au XXème siècle est bien loin d’avoir le passé et le pedigree du prolétaire français. Gardons à l’esprit que le Maroc, ni par ailleurs le Maghreb, le Machrek ou l’Afrique n’ont pas connu de révolutions industrielles, et encore moins la culture de masse qui en résulte. Ce n’est pas le cas des Français. Alors de quelle(s) façon(s) est-il possible que l’ouvrier marocain se mette au diapason de revendications sociales alors qu’il a été extérieur à cette évolution historique et sociologique ?
Justement, en 1936, «l’ensemble du prolétariat marocain n’est qu’une masse inorganique de demi-travailleurs ; la pénétration de l’organisation syndicale comme la naissance de la conscience de classe est lente dans ce milieu déshérité de manœuvres en rupture de campagne», développe à juste titre l’historien René Gallissot dans «Le Patronat européen au Maroc (1931-1942)» (1990). L’énigme anthropologique demeure totale. Quoi qu’il en soit, tentons de planter le décor.
Par Farid Bahri
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