De 2004 à 2007, Leïla Kilani a filmé avec persévérance le travail mémoriel de l’Instance équité et réconciliation et son impact sur quatre familles ordinaires. Nos Lieux Interdits est une plongée subtile et authentique dans l’histoire des années de plomb.
Il s’appelle Hassan et sa vie s’est figée en 1976, date de son incarcération à Kénitra – et début de sa « folie ». Depuis sa sortie en 1989, il vit reclus, mutique. La pièce est sombre, et malgré la caméra, la parole est agonique, parcellaire. Pourtant, elle est tout ce qui lui reste : Hassan n’a pas oublié son engagement marxiste-léniniste, la clandestinité, les tracts, l’odeur de la lino. Il y croit encore. Elle s’appelle Rouquia et, pour la première fois depuis la disparition de son époux – syndicaliste et activiste clandestin du groupe Cheikh-el-Arab – le 1er mai 1972, elle surmonte les secrets d’Etat et de famille : sous nos yeux, elle révèle à sa petite fille Zineb, ébahie, le peu qu’elle sait de l’engagement du grand-père. Il s’appelle Saïd et il ne porte pas le nom de son père. Depuis sa disparition à Tazmamart après le putsch de Skhirat, sa mère vit dans la peur. Il ne l’a jamais vu, mais il veut le connaître autant que possible : voir sa cellule et ses restes, s’il y en a. Surtout, il ne veut plus en avoir honte. Enfin, il y a Mohamed, si grand à côté de sa mère qui accapare la parole. Elle se lamente sur ce lycéen prometteur que l’engagement a perdu. Pourtant, ce brave parmi les braves a connu les bagnes les plus redoutés du Maroc. Mais, devant nous, devant elle, il se tait, voûté sous le poids des souvenirs. Il faudra le travail de communication de l’Instance équité et réconciliation (IER) pour que sa mère accepte d’entrevoir l’ampleur et l’universalité de son calvaire. Dans ces quatre familles, l’IER et cette caméra dans leur salon initient une libération de la parole.
Par Marie Pierre
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