« Le dernier des grands justes nous quitte… Décès du dernier grand et vrai journaliste il y a une semaine… La dernière des belles femmes de l’écran quitte ce monde… Le dernier grand philosophe s’éteint et avec lui la fin de toute philosophie ».
C’est ainsi que s’exprime une grande partie de ceux qui animent les pages des réseaux sociaux au Maroc et un peu partout dans le Monde arabe. Une manière de dire que nous entamons un compte à rebours vers la fin certaine d’un monde authentique, et que nous sommes au seuil d’une fin certaine de la vie sur terre et d’un monde banal et sans aucun intérêt. Plusieurs acteurs de la vie politique, de gauche surtout, des intellectuels, des artistes, des journalistes…d’une certaine génération, décrivent une vie, un peuple, une situation politique, culturelle et même économique en déperdition comparativement au passé. Cette posture intellectuelle qui voit la vie de cette manière se fixe sur la passé et peine à comprendre le présent ou refuse de s’y engager.
Elle ne découvre rien qui vaille la peine dans le présent. Abdellah Laroui, Abed El Jabiri, pour ne citer que le domaine de la pensée, restent pour ce genre de posture intellectuelle le summum de la connaissance, alors qu’ils sont déjà tous les deux des vestiges du passé. Ils sont tous les deux le fruit d’une société qui se pensait en tant qu’unité. Ils pensaient tous les deux un Marocain de type unique, compact, sans complexité. Ils mettaient tout dans le sac arabe, sans aucune attention aux amazighs, aux juifs, aux andalous, aux différences culturelles, linguistiques ; sans tenir compte de la toute nouvelle culture des jeunes créée en toutes pièces par le capitalisme; sans la liberté d’expression et l’explosion des moyens de communication…
Le Marocain dont ils s’occupaient était pour eux monolithique, ou devait absolument l’être. Il est donc normal pour ceux qui adhèrent encore aveuglément à ce genre d’approche de se voir désaxés, désorientés, mis sur le trottoir de l’histoire. Cette pensée vit et génère des générations dans les universités, dans les médias, dans la politique…
J’appelle cette pensée régressive qui accorde une importance pathologique au passé sur le compte du présent, une pensée apocalyptique. C’est une pensée ancienne et elle est aussi ancienne que la vie des humains sur terre. Les humains ont de tout temps exprimé leur crainte de la fin imminente du monde où ils vivent. Cette pensée revêt un caractère religieux, parfois poétique, d’autres fois mythologique, mais souvent malheureusement scientifique. On verra des femmes et des hommes de science avancer des arguments logiques sur l’extinction du soleil, et l’entrée de l’univers dans des ténèbres infinies. Cette pensée est souvent la caractéristique de peuples qui vivent une transition et qui présentent l’effondrement de leur système de valeurs habituel. Ils arrêtent le temps et attendent inconsciemment la fin de la vie. Cette pensée loge dans le discours scientifique comme une survivance de la pensée mythologique, ancêtre de la science actuelle, où aucune nouvelle vie ne peut sortir de l’ancienne, mais il n’y a que des générations spontanées ou des faits divins. Les signes de la fin du monde voient l’apparition, d’un côté, de l’antéchrist (Dajjal), borgne enfourchant un âne et dévastant la terre, et de l’autre le messie (Al Mahdi), le sauveur dont la tâche est de guider l’humanité et l’accompagner dans l’au-delà. Assurant ainsi la destruction du mal et le salut des croyants, ceux qui sont restés fidèles aux fondamentaux.
Cette pensée qui ne regarde pas l’avenir, non seulement elle n’appartient pas au présent, mais elle bloque le développement et l’évolution normale de la vie. Elle s’accroche aux idées consacrées et ne prend jamais le risque de créer du nouveau. Elle s’attache aux astres déjà éteints et s’émerveille des dernières lueurs qui lui parviennent de l’histoire de ces étoiles.
Avec une telle pensée, on ne pourra certainement pas reconstruire le pays après le passage destructeur du Covid-19.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane
un grand courage et plein d’espoir se dégagent de cet article.