Le Coronavirus est l’événement le plus important, à l’échelle planétaire, depuis la découverte du formidable outil Internet. Même s’il est trop tôt pour en mesurer les retombées. Parce que, déjà, on voit se dessiner des contours nouveaux, qui ne manqueront pas d’affecter l’humanité.
Internet, surtout à partir des années 1990, a connecté la planète entière, la transformant peu à peu en village. Sans elle, pas de globalisation, mondialisation, libre échange, visioconférence, télétravail, etc. Jusqu’aux services de renseignement, qui ont radicalement changé leur approche du métier, il n’y a pas eu une seule activité, un seul domaine, qui ait pu échapper au contrôle et à l’influence de l’Internet.
Mais Internet n’a pas seulement changé le monde. Elle l’a bouleversé. Philosophiquement, elle a pu relier les individus les uns aux autres à travers tout le globe. Court-circuitant au passage les institutions, et même les Etats. Créant aussi des sortes de communautés transversales, et non plus verticales, où des hommes de nationalités différentes se regroupent autour d’intérêts communs, défiant les différences et les distances terrestres, et culturelles, qui les séparent.
Ce «miracle» de l’Internet a renforcé la place de l’individu. Il lui a offert une sorte d’indépendance ou d’autosuffisance. Sans oublier que la cyber-vigilance a formé une armée de «militants» et d’indignés, qui constituent désormais un pouvoir supérieur à celui de la presse traditionnelle, des syndicats, ou de l’opposition politique classique.
Mais Internet a eu d’autres retombées plus contestables. Economiquement, elle a dopé la mondialisation. Et politiquement, elle a donné un coup de fouet au libéralisme, qui n’en avait pas tant besoin. Ce qui a eu le don de réduire considérablement l’autorité des Etats.
Nous sommes ainsi passés de l’Etat-Providence à l’Etat-témoin, simple accompagnateur, tombé de son piédestal, de plus en plus marginal.
Mais voilà que «Corona», à sa manière, et en quelques semaines à peine, a pu balayer une partie de cette construction extraordinaire, pourtant née d’un monde pourtant totalement virtuel.
Ce méchant virus, qui est en train d’effacer toutes ces nouvelles certitudes, rappelle la grande pandémie de la peste noire survenue au Moyen Âge : même schéma de propagation, mêmes foyers partant d’Extrême-Orient (Chine), avant de gagner l’Europe, l’Asie, l’Afrique et le reste du monde.
Comme l’Internet, le Covid-19 a donc connecté le monde entier. Et comme la peste noire, il a sonné comme un rappel à l’ordre : il faut agir, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, il faut repenser le monde, le reconfigurer. Le repenser. Déjà.
Dans le Moyen Âge, la peste a réveillé l’Europe et stimulé l’esprit des Lumières. Pour la première fois, les plus forts ont compris que leur bien-être dépendait du sort, pour ne pas dire de la santé, des plus faibles. Il fallait construire des hôpitaux, réduire l’insalubrité publique, repenser la ville, créer des institutions nouvelles, des règles de vie commune, etc.
Tout cela, à quelque chose malheur est bon, a poussé l’Europe à réfléchir à un nouveau modèle économique, de manière à se prémunir contre de nouvelles pandémies. Certains historiens vont jusqu’à lier le décollage industriel et scientifique (inventions, innovations) à cette période terrible où l’Europe a perdu près du tiers de sa population…
Le coronavirus, aujourd’hui, réveille tout le globe. Le modèle ultralibéral, qui désengage et affaiblit l’Etat, qui se détourne de la misère du monde, qui mise exclusivement sur la technologie, ne suffit plus pour «protéger» les plus puissants.
Une grippe mal soignée au Népal ou au Burkina Faso peut tuer un trader ou un héritier multimilliardaire à Londres ou New York. Cela veut dire que le sort des riches est lié à celui des pauvres.
Sans le développement des sciences, de l’entraide sociale, et sans la mise à contribution des bailleurs de fonds via des Etats forts, le moindre virus mutant peut mettre à mal, ou aller jusqu’à emporter la plus grande puissance militaire ou économique du monde.
Le Covid-19 nous rappelle, in fine, que la planète n’est qu’un village, c’est-à-dire pas grand-chose. Pour s’en sortir, le village doit être développé et, surtout, solidaire.
Par Karim Boukhari; Directeur de la rédaction