Couvre-feu, barrages policiers, contrôles renforcés, passe sanitaire, port obligatoire du masque buccal. D’aucuns se remémorent avec anxiété et appréhension l’époque du confinement et des restrictions sociales durant la récente pandémie de coronavirus… Pourtant cette législation prophylactique d’une sévérité tyrannique n’est pas la première au Maroc. Durant les premières décennies du Protectorat, les indigènes, c’est-à-dire les Marocains, vont être la cible de poursuites et de rafles hygiéniques sans pareil. Radiographie.
Avant de porter la focale sur les événements liés à la santé dans le Protectorat, il nous faut faire un petit détour par l’imaginaire occidental sur l’hygiène, au moment où les Européens mettent le pied dans l’Empire chérifien et entreprennent une politique coloniale de la santé. Bien évidemment, les colonisateurs débarquent sur le continent africain avec un schéma mental solidement ancré sur la supériorité de la civilisation européenne sur le reste du monde, convaincu d’avoir en main une formule universelle de l’humanité applicable dans les aires non-occidentales. L’hygiénisme, ou la pratique de l’hygiène à l’extrême, apparaît dans le dernier quart du XIXème siècle, en réponse aux travaux notamment du microbiologiste Louis Pasteur (1822-1895), célébré comme le père de la vaccination. «Le XIXème siècle aura été le siècle de l’hygiène publique» : c’est la remarque liminaire du philosophe Gérard Jorland dans son essai «Une société à soigner, hygiène et salubrité publique en France au XIXème siècle» (2010). Quant à la définition de l’action sanitaire, c’est l’historien Georges Vigarello qui nous la sert. «Retrouver les valeurs données à la nourriture, aux boissons, à l’air respiré, au travail, au repos, à la propreté d’un corps». Une définition globale qui survole tous les aspects publics et privés du social. Notre pays, à vrai dire, n’est pas totalement épargné par cette nouvelle attitude sanitaire de l’Occident. La ville de Tanger, capitale diplomatique du Royaume depuis la fin du XVIIIème siècle, en fait les frais expérimentaux.
Par Farid Bahri
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