Stefan Zweig, dans son livre «Le Monde d’hier», parle de cette ligne de fracture entre deux siècles : celui du XIXème siècle, marqué par l’âge d’or de la sécurité, et le XXème siècle propulsé depuis la Première Guerre Mondiale dans l’insécurité. La ligne de démarcation entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui, n’est pas ponctuée par une date, un événement, mais un état d’esprit. Et l’état d’esprit qui prévaut est celui de l’insécurité. Le monde d’hier, s’il a existé, c’est-à-dire un monde d’âge d’or de la sécurité, est derrière nous. Nous sommes dans un monde marqué par l’insécurité.
Le bruit des canons se fait entendre, ici et là, avec toutes les conséquences que nous pouvons imaginer, flux migratoires, déchirures sociales, ressentiments… La Syrie devient l’épicentre d’un conflit mondial qui menace le monde. L’Europe est au point de mire. La Libye est aussi un foyer de tension qui met aux prises plusieurs antagonistes….
Puis, bien sûr, la crise économique qui bat son plein, avec toutes les retombées que nous connaissons : haine raciale, montée du racisme, xénophobie, etc…
Les changements climatiques, trop criards pour être ignorés, augurent de grands changements. Dépeuplement d’espaces, avec exaspération de tensions et flux migratoires. En vingt ans, le Maroc a changé de visage, à cause des changements climatiques, et la gestion de l’eau autant que les flux migratoires deviennent stratégiques.
Ne parlons pas du terrorisme, qui plane toujours.
Et puis, Coronavirus qui pointe le bout de son nez au Maroc. L’affaire est sérieuse, parce que le monde la prend au sérieux. Elle changera les rapports sociaux, atténuera les échanges, et confinera le monde au repli. Imaginez toutes les rencontres qui ont été annulées, et qui risquent d’être annulées (le SIAM, à l’écriture de ces lignes).
Oui, il y a un monde d’hier, avec ses promesses, d’embellie économiques, de participation politique, de diversité culturelle, il y a de cela moins de vingt ans, avec un soupçon de sécurité, du moins avant le 11 septembre 2001.
Il y a le monde d’aujourd’hui plongé dans l’âge d’or de l’insécurité.
Y a-t-il des dynamiques qui dépassent l’homme, ou est-ce l’homme qui est son propre fossoyeur, ou peut-être les deux ? Le Maître et possesseur de la nature devient son propre fossoyeur.
Oui, l’écologisme n’est pas l’affaire de quelques illuminés, mais un effort de recadrage du rapport de l’homme à la nature. Le monde d’aujourd’hui est un monde éclaté entre l’homme et la nature, le dominant et le dominé, le riche et le pauvre. Or, la récurrence des fléaux et des crises, nous rappelle qu’il n’y a pas de frontières pour les problèmes, et le malheur des uns ne fait pas forcément le bonheur des autres.
Ne faudrait-il pas réfléchir sur les prérogatives de ce «machin» qui devait veiller sur la sécurité et la paix dans le monde ? À-t-il encore quelque raison d’exister ?
Je ne sombre pas dans le pessimisme, car l’humanité ne soulève de questions que celles dont elle a la réponse. Parole de philosophe, il y a plus d’un siècle.
Tiens, n’avons-nous pas besoin de cette lubie ? Après le «magister» des ingénieurs et des banquiers, n’avons-nous pas besoin de ceux qui posent des questions après l’ère de ceux qui ânonnent des réponses. Ainsi pourrons-nous peut-être bâtir le monde de demain. N’est-ce pas là la prophétie de Malraux, le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane
Mais c’est le XIX siècle colonial qui a bien préparé l’insécurité de son successeur.