Dans un monde de plus en plus transversal, où les frontières volent en éclats, la question de l’identité revient en force. C’est une valeur refuge, un abri, une bouée de sauvetage à laquelle beaucoup s’agrippent pour ne pas se noyer. Le voyage, la circulation des idées et des hommes, le brassage des individus, le métissage, tout cela a créé une situation nouvelle. Un mélange de sang, des genres. Le citoyen du monde, voire le citoyen monde, ont effacé peu à peu ces traits parfois visibles à l’œil, ou enfouis aux tréfonds de l’âme humaine, et que certains appellent « le particularisme identitaire ».
Ce glissement a fait des heureux, bien sûr. Mais il a aussi poussé de nombreux individus, voire des communautés entières, de plus en plus paniquées, à courir à la recherche de ce «particularisme identitaire» pour s’y abriter et se rassurer. Cela ouvre la voie au repli identitaire et à ses conséquences fâcheuses, dont la première peut être meurtrière, comme dirait Amin Maalouf : l’exclusion de l’autre. C’est cela le piège de l’identité. Dire qui nous sommes revient aussi à créer un mur autour de ce « nous » consensuel. Et à jeter dehors ce qui n’est pas nous et ceux qui ne sont pas nous et ne font pas partie de nous.
Identité et appartenance sont proches, comme le poumon et la plèvre qui l’entoure peuvent l’être, et que seule la maladie peut séparer. Elles forment donc un bloc solidaire. Et qui peut faire mal si l’on n’y prend pas garde…
La circulation et le métissage sont aujourd’hui tels que des millions d’individus n’ont pas une identité/appartenance mais plusieurs. Ils ne sont plus une mais plusieurs choses à la fois. Cette pluralité, qui est une richesse, peut se retourner et devenir un poids, un handicap, un motif d’exclusion. Ne dit-on pas que celui qui va continuellement chez les autres n’a pas de chez soi ?
Ce problème est réel et il peut être meurtrier. Une partie des problèmes de fond de notre époque prend naissance là, dans ce double cadenas de l’identité/appartenance. Il y a un autre problème qui s’appelle le déracinement, qui frappe les individus qui vont au-delà du « mur » pour intégrer une nouvelle communauté. La différence, la difficulté de se fondre dans un nouveau chez soi, crée là aussi cette quête du particularisme identitaire. Le repli guette. Le radicalisme aussi. Comme on le voit, la recherche de ce fameux particularisme identitaire n’est pas sans danger. Elle ressemble parfois à une bombe à retardement qui peut exploser à n’importe quel moment. Elle se présente pourtant sous un beau jour parce qu’elle charrie beaucoup de nostalgie. « Elle est où ma vie, il est où mon derb… revenez, revenez », comme chantaient Nass El Ghiwane.
Derrière, il y a bien sûr le mythe du passé enchanteur. Soi-disant ! Et d’autres mythes, plus terribles encore. Comme la famille et la tribu unies, et pures surtout. Sans mélange, sans greffe extérieure, sans pollution. Voyez où tout cela peut nous mener : aux portes de l’exclusion, de la séparation des races, de la compétition et de la suprématie du « Nous » par rapport à aux autres (ce qui n’est pas Nous)…
Il faut donc faire très attention avec l’exercice de la quête de l’identité. Cette quête est vitale parce que l’individu a continuellement besoin de savoir d’où il vient, ce qu’il est, ce qui le relie ou l’éloigne des autres.
Il faut imaginer que l’explosion des frontières et le mélangebrassage ont fait que l’individu, où qu’il soit, se sente comme un homme perdu au milieu d’un carrefour. Les voitures, les motos, les piétons affluent de partout. La place est noire de monde et, pour réguler et canaliser ce « bordel », tout le monde est à la recherche d’un « gendarme » pour lui servir de guide et lui trouver un chemin, son chemin.
La doublette identité/appartenance est ce gendarme.