Elle sera déterminante, cette crise entre le Maroc et la France. Elle rappelle, de mémoire d’homme, par certains égards, une précédente crise, conséquente à la parution de «Notre ami le roi» de Gilles Perrault, à la rentrée littéraire de 1990. La crise fut à l’époque tumultueuse où les Marocains étaient unanimes pour dénoncer la manœuvre française, y compris dans les mêmes fautes d’orthographe, dans les télégrammes de protestation envoyés à l’Elysée…
Celle-là est plutôt subtile. Pas de mobilisation. Pas de télégramme de protestation. Juste quelques fuites de documents rédigés en mauvais français, par des hauts responsables français. Il faut croire. Les Français ne maîtrisent pas leur langue. Ils seraient un peu comme nous, où plusieurs de nos responsables ne maîtrisent ni arabe ni amazigh. Ah, la Perfide France qui nous veut du mal, et nous cherche noise. Répondons à l’unisson : Aux Aaaarmes !!! Suuuujets.
Trêve de plaisanterie. Je m’inscris en faux, par rapport à l’éthos, si ethos il y a. Depuis le début des années 1970, bien avant la récupération du Sahara, la France a été du côté marocain, et l’arrivée du socialiste Mitterrand en 1981 n’a rien changé à l’orientation de la France. C’est autour du dossier des droits de l’homme que le bât blessait, mais jamais la France n’a intenté aux intérêts stratégiques du Maroc, à savoir, son intégrité territoriale, qu’elle a défendue, diplomatiquement, en matière de renseignement, et militairement. On peut nier les évidences, mais il ne sert point de tâcher à convaincre ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas comprendre, comme dirait Feu Hassan II. Si crise il y a, les raisons devraient être autres.
Certes, vu l’évolution du dossier du Sahara et la position exprimée par les états-Unis, l’Espagne, l’Allemagne, on aurait souhaité ce que le jargon officiel appelle «sortir de la zone de confort». On aurait aimé une plus grande clarté de la France.
Prétendre que la France ait changé de position sur l’affaire du Sahara, c’est aller trop loin en besogne… Si, un jour, la France cesse d’appuyer la marocanité du Sahara dans le cadre de l’autonomie, solution qu’elle avait préconisée de concert avec les états-Unis, elle n’aurait pas porté atteinte seulement aux intérêts stratégiques du Maroc, mais à elle-même, c’est-à-dire à ses fondamentaux.
La France a certes changé, et ne voit pas les relations avec le Maroc sous l’unique prisme de la Mamounia, ou son avatar l’université de Benguérir, comme dirait un vieux routier des relations maroco-françaises. Une nouvelle génération de décideurs français, qui ne trainent pas le passé colonial, avec la condescendance des uns, la mauvaise conscience des autres. Une nouvelle France a émergé, qui voudrait normaliser ses relations avec l’Algérie, et c’est tant mieux pour l’Algérie, et pour la France. Le Maroc ne tient pas à s’ériger, comme on le répétait à hue et à cri à la Mouradia, il y a des lustres, en une «Algérie de substitution». Le Maroc est le Maroc, l’Algérie est l’Algérie. Et le Maroc est pluriel, comme doit l’être la France. Grâce soit rendue à Hassan II qui refusait le traitement de concubines, et par voie de conséquence, le comportement de concubines.
L’auteur de ces lignes croit à un rapport triangulaire de la France, l’Algérie, le Maroc… C’est quand la France à découché au Marché européen, que les trois côtes du triangule ont du mal à s’ajuster. Triangle rectangle ou isocèle, l’avenir le dira.
N’insultons pas l’avenir, l’histoire fera le reste… Il faut raison garder. Un jeune Marocain, il y 70 ans, un certain Abderrahim Bouabid, a eu le courage de reconnaître l’apport extrêmement révolutionnaire que la France a eu pour notre pays, plongé dans une torpeur historique et culturelle. Elle lui a insufflé vigueur. Comment une telle évidence pourrait nous échapper, alors qu’il y a 70 ans, le Maroc était colonisé, et le jeune leader avait, dans une tournure kantienne, osé. Restons lucide.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane