En 1975, le Polisario (Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro), un groupe de jeunes militants sahraouis, issus pour la plupart des territoires du Sahara marocain libéré entre 1955 et 1969, prennent la décision, ou on la leur fait prendre, de quitter le Sahara Occidental pour aller se mettre sous la protection des autorités algériennes dans la zone de la Hamada. Pour l’Algérie le gain était double, d’une part étouffer le conflit, non encore réglé avec le Maroc, à propos de Tindouf, et d’autre part glisser un caillou dans la chaussure du régime de Hassan II, ennemi juré depuis la célèbre Guerre des Sables.
Sur le conseil de leurs hôtes, les jeunes Sahraouis ont préféré l’émigration au combat sur leur propre sol. Combat armé ou pacifique, peu importe. Dans ce sens, ils ne font que rééditer des expériences connues dans l’histoire. La plus récente et la plus proche de nous est celle d’el-Hiba Maaelainine. À la fin du XIXème siècle, lors de l’intervention française dans le sud mauritanien, el-Hiba, alors jeune cheikh de l’une des branches de la zaouïa Qadiriya aux abords du Fleuve Sénégal, proposa à ses adeptes le jihad ou l’émigration (al-jihad aw al-hijra). Après des conciliabules, et sous l’incitation du guide spirituel, l’Assemblée de la zaouia et certaines tribus considèrent que le jihad était impossible et la seule issue demeurait al-hijra (émigration). Des tribus, surtout d’origine amazighe, décidèrent par contre de rester, considérant que l’ennemi était laïque par essence, et qu’il voulait la terre et non pas la religion. Les fidèles, mais aussi leurs familles et leurs bétails, s’engagèrent dans une procession historique vers le Nord. Ils s’arrêtent à Smara pour quelques temps, mais le cheikh, avide de djihad, ira jusqu’à Fès demander de l’aide au sultan. L’amour propre blessé, le cheikh reviendra ameuter ses fidèles et viendra à la rencontre de l’ennemi sur les plaines de Sid Bou Athman au nord de Marrakech. Mais malheureusement, l’artillerie moderne aura raison des fusils à poudre des valeureux combattants sahraouis.
Le concept de Jihad aw l’Hijra, est tiré d’une formule attribuée au prophète de l’Islam qui, devant l’impossibilité de prêcher sa nouvelle religion, décida d’émigrer à Médine. Argument solide !
Mais après sa défaite, le cheikh à court d’arguments religieux, ira s’installer confortablement à Taroudant, alors que les valeureux moudjahidines se sont disséminés dans les plaines, les montagnes et les collines du nord du Maroc. Les familles ainsi que les tribus restés en Mauritanie, ont vu leur situation évoluer, alors que la descendance des moudjahidines était obligée de se réduire à la mendicité dans le pays du Tell expression sahraouie pour nommer le Nord du Haut Atlas.
On dirait que l’histoire est capable de se répéter dans les détails. En 1975, au nom d’un sacré quelconque, celui du supposé chérifisme des Réguibat des individus, se mettent à la tête de ce grand déplacement populaire, ils en profitent au maximum, maintiennent les autres tribus et castes dans la misère, ceux qui étaient harratines le demeurent toujours, ceux esclaves possèdent aujourd’hui même une carte d’identité qui le prouve et la structure de la stratification sociale moyenâgeuse reste intacte. Tout ceci enveloppé dans un discours guévariste prônant la libération des peuples et l’émancipation de l’humanité et soutenue ainsi par les extrêmes gauches mondiales. Les années passent, les idéologies s’effritent, la population se misérabilise, les chefs tombent les uns après les autres comme les leaders soviétiques pendant les derniers jours de l’État socialiste. Ceux nés à Tindouf en 1975 vont avoir 50 ans en 2025. Pendant cinquante ans des personnes attendent le retour, ceux qui l’ont promis et clamés sur toutes les tribunes s’en vont avec la poussière du désert…et le moment du retour tarde à venir ; une seule issue pointe à l’horizon : retourner ou mourir.
Par Moulim El Aroussi,
Conseiller scientifique de Zamane