C’est à Tanger, ville d’Ibn Batouta, le grand voyageur marocain, que se tiendra, à partir de vendredi 25 Juin, une exposition insolite sur le voyage. Le voyage est bien d’actualité. Le voyage qui devient un crime, de nos jours, est interrogé par cinq artistes invités par la Galerie Kent à Tanger à s’exprimer sur cette problématique. Certes les artistes voyagent grâce à la fertilité de leurs imaginaires, mais ils prennent le temps de mettre les pieds sur terre pour s’interroger sur le voyage.
Al Manar, ou Al Manara en arabe, trouve son origine dans Ennar, le feu. En fait dit le dictionnaire arabe Le Lissan, il s’agit du feu qu’on allumait tous les soirs sur les sommets afin d’éviter aux voyageurs de s’égarer dans le désert. Ce fut une manière de diriger ces voyageurs vers un lieu d’hospitalité. Aujourd’hui, où l’hospitalité est mise à mal, les artistes reviennent revisiter ce signe qui autrefois guidait les étrangers, les égarés, les condamnés fugitifs, bref les êtres humains. Or le phare du Cap Spartel à qui l’exposition emprunte le nom, fut construit en vue de sauver des vies, d’orienter les navigateurs vers le littoral du salut.
La construction du phare aurait été décidée après le naufrage en 1860, au large de Tanger, de la frégate-école Dona Isabel, qui vit périr 250 jeunes cadets de la Marine brésilienne. Dès 1861, le Maroc et l’Espagne s’étaient accordés pour organiser la sécurité maritime à l’ouest du détroit de Gibraltar et la construction de ce phare en était une des priorités (…). Le phare a été commandé par le sultan Mohamed Ben Abderrahmane à l’ingénieur français Léonce Reynaud et construit, à partir de 1861, par le service des Ponts et Chaussées de la France.
Après plus d’un siècle et demi, les vies humaines sont toujours en péril dans ce lieu. On y a même instauré la défense de circulation sans autorisation. On y a dressé des frontières symboliques, imaginaires mais aussi matérielles, des fils barbelés comme ceux qu’on dresse injustement autour des clos des animaux pour les persuader de ne pas dépasser les limites tracées par les maîtres.
Après plus d’un siècle et demi des artistes reviennent sur ce lieu même de la tragédie pour interroger le voyage. Le choix des artistes n’était pas fortuit ; car en plus de leur place importante sur la scène artistique nationale et internationale, il s’agit d’artistes qui n’ont jamais cessé d’interroger les frontières et d’inciter au voyage. Le voyage comme acte de transgression des frontières aussi bien physiques, mystiques, métaphysiques qu’intellectuelles. Le voyage en tant que surpassement de soi et de sa condition.
Abdelkrim Ouazzani, Batoul S’himi, Faouzi Laatris, Kenza Benjelloun et Mounir Fatmi, sont les êtres voyageurs, qui nous invitent au voyage à travers une exposition toute contemporaine, mais surtout à réfléchir sur le voyage dans notre monde post-covid, compte tenu des enjeux géopolitiques et de certaines forces qui s’acharnent à vouloir redessiner les cartes et les routes comme à l’époque pré coloniale.
Par Moulim El Aroussi